DiEM25 a été créé en février 2016 parce que l’Europe était en train de se désintégrer à la suite d’une prise de pouvoir pseudo-technocratique de l’UE qui imposait partout l’austérité à tous ses membres. Une austérité qui répondait à la crise financière provoquée par les responsables mêmes de cette pseudo-technocratie de l’UE. Aujourd’hui, alors qu’un virus totalement inattendu a mis le capitalisme européen en suspens, il est temps de réévaluer notre analyse et de réorienter nos politiques.
Notre Manifeste de 2016 offrait une analyse pertinente des raisons pour lesquelles l’Europe se désintégrait tandis que l’Internationale Nationaliste xénophobe se levait. Il démontrait aussi que les nationalistes et la technocratie européenne étaient pratiquement les deux faces d’une même pièce. Un an plus tard environ, afin de donner substance au Manifeste en matière de politiques à mener, DiEM25 élaborait avec l’aide d’innombrables Européens son Green New Deal pour l’Europe. Lors des élections au Parlement européen de mai 2019, nous nous sommes présentés avec des alliés politiques de plusieurs pays dans le but de promouvoir notre programme politique, le Green New Deal. Banquiers et fascistes n’ont jamais laissé une « bonne » crise se perdre : ils s’unissent par-delà les frontières pour poursuivre à l’international leur programme putride.
Cette fois-ci, les défenseurs d’une Europe progressiste ne doivent pas laisser passer l’occasion de se rassembler autour d’une analyse et d’un programme politique communs en fonction de la réalité nouvelle. La dernière chose à souhaiter, c’est un retour à la normalité. Si DiEM25 voyait juste, il n’y avait rien de « normal » à ce qui se passait en Europe, et même dans le monde, avant la Covid-19.
À l’instar des grandes guerres, de la peste noire ou de la grippe espagnole, toutes les épidémies offrent à l’humanité l’occasion de repenser ses modes de vie. Les pouvoirs en place feront tout leur possible pour nous forcer à revenir au statu quo. Nous devons nous assurer qu’ils ne parviennent pas à leurs fins. Pour deux raisons : d’abord, les entreprises ne sont pas en mesure de reprendre leur fonctionnement habituel, même si nous le souhaitions tous. Ensuite parce que ce fonctionnement était inefficace et contraire aux intérêts de l’humanité.
L’année dernière, en mai 2019, soit une semaine environ avant les élections européennes, DiEM25 a publié un ouvrage passionnant intitulé A Vision of Europe (un livre remarquablement édité par David Adler et Rosemary Blecher). Un deuxième volume va bientôt voir le jour puisque, dès la sortie de l’imprimerie du premier, les événements de ces douze derniers mois nous ont incité à repenser notre vision de l’Europe. La semaine dernière, il m’a fallu rédiger l’introduction de A Vision of Europe Vol.2. Ce qui s’est rapidement transformé en un exercice de refonte du manifeste et du programme politique de DiEM25 pour l’ère post-pandémique.
Au cours des prochains mois, DiEM25 devra revoir ses textes fondateurs et ses principaux documents d’orientation. Dès novembre dernier, lors de notre réunion à Prague, nous avons posé les jalons d’un programme plus radical. Les réflexions suivantes sont, dans ce contexte, destinées à ranimer cette discussion à la fois au sein de DiEM25 et aussi avec les autres progressistes intéressés par un dialogue sur ce qu’il faut faire désormais en Europe et au-delà.
« Soit l’Europe sera démocratisée, soit elle se désintégrera ! » : tel était notre pronostic en 2016. Eh bien, l’UE n’a pas démocratisé ses institutions et elle est aujourd’hui en train de se désintégrer. Que faut-il dire et faire désormais ?
Le paradoxe européen au cœur de la désintégration de l’UE
Une année, c’est long en politique, mais ce serait normalement trop court pour modifier notre vision de l’avenir. Hélas, l’année dernière n’a pas été une année ordinaire. Pour que l’avenir soit différent de ce que l’on a connu, ces douze mois passés ont rendu nécessaire une révision de notre « Vision de l’Europe ». Vous êtes maintenant, cher lecteur, face au résultat de cette réflexion.
Lors des élections européennes de mai 2019, notre New Deal vert pour l’Europe, le Manifeste basé sur notre Vision de l’Europe, a été battu à plate couture. Même si DiEM25 et nos alliés du Printemps Européen ont réussi à recueillir un million et demi de voix, nous ne sommes pas parvenus à faire élire un seul député européen. À en juger par ce triste résultat, certains pourraient vraisemblablement conclure que notre Vision de l’Europe a coulé à pic, du moins sur le plan électoral. Une explication de notre échec électoral est effectivement la suivante : notre analyse et nos choix politiques étaient médiocres, insuffisants ou en contradiction avec les tendances de l’électorat européen. Cependant, il existe une seconde hypothèse : même si de nombreux Européens sont prêts à adopter l’analyse de DiEM25 et à soutenir notre programme politique, le système politique européen reproduit la domination d’institutions impopulaires et le pouvoir de la technocratie. À en juger par l’évolution de l’opinion publique, en particulier chez les jeunes Européens, cette deuxième explication semble tout à fait plausible. En effet, depuis notre défaite électorale en Allemagne, en France, etc., l’analyse proposée dans la Vision de l’Europe et les politiques prônées par le Green New Deal pour l’Europe de DiEM25 ont gagné en popularité.
Ce paradoxe est au cœur de la désintégration de l’Europe ; un processus né en 2010 avec la crise de l’euro s’est accéléré en 2015 avec l’écrasement du Printemps grec, puis s’est emballé avec les triomphes du Brexit en 2016 et 2019. Il s’est précipité en 2020 avec la Covid-19 et la réponse lamentable de l’Union européenne à la pandémie. La structure du paradoxe est facile à examiner.
D’une part, il existe un large consensus sur le fait que l’union monétaire et économique de l’Union européenne n’est pas simplement viciée mais qu’elle est la source de récessions inutiles, d’une dégradation de l’environnement et de souffrances évitables pour la majorité des Européens. D’autre part, le système politique européen garantit qu’alors que les puissances dominantes encensent officiellement ce consensus, celui-ci est en réalité maintenu de manière brutale et impitoyable à distance des véritables centres de décision européens.
Le Manifeste de DiEM25, notre Green New Deal pour l’Europe et, oui, le premier volume d’Une Vision de l’Europe ont révélé ce paradoxe ainsi que sa capacité à saper l’Union européenne et, plus largement, la défense radicale d’une Europe progressiste. Cependant, je crois maintenant que notre expression, nos textes et la façon dont nous avons formulé nos discours de campagne étaient beaucoup trop timides. Il ne suffisait tout simplement pas de dire « soit l’Europe sera démocratisée, soit elle se désintégrera ». Cette prédiction était correcte, mais notre campagne politique avait besoin de quelque chose de plus puissant qu’une prédiction : il lui fallait une déclaration plus radicale concernant ce qui se passait et ce que nous devrions faire.
Ce à quoi nous sommes vraiment confrontés
En relisant Une Vision de l’Europe récemment, j’ai compris qu’il y manquait quelque chose de crucial : une analyse de classe des véritables raisons pour lesquelles les pouvoirs en place en Europe refusent d’adopter des politiques raisonnables et modérées et des changements institutionnels qui seraient avantageux pour tous les pays d’Europe.
Si je ne me trompe, le Green New Deal pour l’Europe de DiEM25, y compris ses propositions techniques ingénieuses en matière de financement de la dette et des investissements publics, est en mesure de lancer tous les moteurs à la fois : allemand et italien, néerlandais et grec. Alors pourquoi les gouvernements allemand et néerlandais étaient-ils si hostiles à ce projet ?
Une Vision de l’Europe n’a pas répondu à la question, laissant le lecteur penser à tort soit que nous nous trompions, soit que les représentants politiques des pouvoirs en place du nord de l’Europe étaient stupides. Ni l’un ni l’autre. Notre analyse est correcte et les pouvoirs en place du nord de l’Europe défendent brillamment leurs propres intérêts. C’est vrai ? Comment cela se fait-il ?
Les événements de 2020 ont réglé cette question. Par exemple, il est clair que même les conservateurs budgétaires les plus intransigeants vivant en Europe du Nord voient bien que, face à une gigantesque récession provoquée par la pandémie, laisser chaque État-membre se débrouiller tout seul conduira, tôt ou tard, à la désintégration de l’euro. Ils sont certainement assez intelligents pour reconnaître que, compte tenu de la situation italienne, forcer Rome à emprunter des milliards à un moment où les revenus nationaux s’effondrent entraînera très probablement un défaut de paiement et une sortie de la zone euro. Ou que cela provoquera une dépression telle qu’un gouvernement néofasciste surgira pour faire ce que la récession n’aura pas réussi à faire : provoquer un affrontement fatal entre Rome et Bruxelles.
Mais, si ce que j’avance est vrai, pourquoi les pouvoirs en place dans l’UE ont-ils éliminé la seule alternative à la croissance paralysante des dettes nationales, c’est-à-dire les euro-obligations ? Pourquoi ont-ils ignoré la proposition techniquement astucieuse de DiEM25 pour une émission d’obligations de la Banque centrale européenne ? Une obligation de la BCE, d’une échéance de trente ans, permettrait de lever 1.000 milliards d’euros afin d’absorber l’augmentation catastrophique de la dette nationale qui entraînera inévitablement le défaut de l’Italie, puis de l’Espagne, et puis de la France, etc.
Étant donné que les pouvoirs en place dans l’UE savent très bien que l’Italie et le reste du Sud de l’Europe contribuent fortement aux excédents du Nord (par exemple en maintenant leur taux de change et les taux d’intérêt de leur Trésor en-dessous de zéro), pourquoi prennent-ils le risque majeur de voir se désintégrer l’euro ? Pourquoi n’utilisent-ils pas la pandémie comme une opportunité pour consolider les avantages du Nord dans l’union monétaire européenne en adoptant les propositions de DiEM25 à la fois pour la création d’une obligation de la BCE et pour une grande campagne d’investissement paneuropéenne financée par une alliance de la Banque européenne d’investissement (BEI) et de la BCE ? Qui donc bénéficierait plus d’un tel programme d’investissement que, disons, Siemens et Volkswagen ?
La réponse qui manquait dans Une Vision de l’Europe Vol. 1 commence par une prise de conscience. Certes, les hommes politiques qui sont les représentants de l’oligarchie internationale reconnaissent tout ce qui précède aussi bien que vous et moi, cher lecteur. Mais ils voient aussi quelque chose qui échappe à la plupart des progressistes : c’est que l’architecture de la zone euro est unique dans l’histoire du capitalisme en ce sens qu’elle a offert tous pouvoirs à l’oligarchie que ces hommes politiques représentent.
Après avoir créé une banque centrale gargantuesque sans État pour la contrôler ou la soutenir, dix-neuf États (ceux qui utilisent l’euro) se sont retrouvés sans banque centrale pour les soutenir directement. Une fois privés du pouvoir de contrôler la monnaie et les taux d’intérêt, ces États ont rapidement atteint les limites de leur capacité de dépenses. Une fois dans les cordes budgétaires, aucun gouvernement, quelle que soit sa couleur politique et idéologique, ne peut faire grand-chose dans le domaine de la redistribution des revenus et des richesses.
Après avoir retiré le contrôle de la monnaie et des taux d’intérêt aux États, les concepteurs de la zone euro ont fait quelque chose qui n’avait jamais été accompli auparavant : ils ont privé chaque premier ministre ou président démocratiquement élu des instruments permettant de transférer des quantités importantes de richesse des riches vers les pauvres, qui constituent la majorité – c’est-à-dire, selon la définition d’Aristote, le demos. En bref, ils ont subrepticement retiré le demos de la démocratie européenne. Qu’ils l’aient fait intentionnellement ou non, là n’est pas la question.
La seule chose qui compte, c’est qu’avec la création de l’euro, les gouvernements démocratiquement élus ne pouvaient plus transférer de grandes quantités de valeurs de l’oligarchie vers la majorité. À l’avenir, les historiens de l’économie signaleront certainement cela comme une évolution capitale.
Comparez et opposez les prérogatives dont disposent la chancelière allemande et le premier ministre britannique. Même si l’Allemagne est beaucoup plus riche, avec son excédent commercial énorme, et est un pays mieux géré que le Royaume-Uni, la chancelière allemande, même si elle le souhaitait, ne pourrait pas transférer de grandes quantités de revenus et de richesses des Allemands riches aux Allemands pauvres. Pourquoi ? Parce qu’elle est contrainte de ne pas faire de gros déficits et n’a aucun contrôle sur la Banque centrale. En revanche, le Premier ministre britannique, soutenu par la Banque d’Angleterre, peut générer d’importants déficits pour abonder des investissements publics ou même simplement pour transférer de grandes quantités de richesses à des habitants plus pauvres, par exemple dans le Nord de l’Angleterre.
Nous pouvons maintenant voir ce que nous affrontons. Oui, l’oligarchie de l’UE peut voir que la mise en œuvre de notre Green New Deal pour l’Europe ferait des merveilles pour mettre fin à la crise de l’euro qui a commencé en 2009 et qui est devenue aigüe, grâce à la Covid-19, en 2020. Ils voient aussi bien que vous et moi, cher lecteur, qu’en conséquence, leurs profits augmenteraient au lieu de chuter. Cependant, ils se rendent également compte que les propositions politiques de DiEM25 inaugurent de nouveaux instruments, tels que les obligations de la BCE et un Fonds d’investissement vert soutenu par une alliance BEI-BCE.
Ces nouveaux instruments permettront, en fonction des besoins prioritaires, à des hommes politiques élus en Allemagne, en France, en Italie, etc. de redistribuer de grosses parts de revenus et de richesses de l’oligarchie européenne à des personnes plus pauvres vivant tant dans le nord que dans le sud de l’Europe. Veut-on bien comprendre que ce n’est pas quelque chose à quoi l’oligarchie consentira à la légère ?
En résumé, A Vision of Europe a commis l’erreur de ne pas éclairer le lecteur sur deux points clés. D’abord, que notre programme pour transformer l’Europe présente des politiques que même les oligarques considèrent comme mutuellement bénéfiques pour tous les Européens, qu’ils soient d’Europe centrale, du Nord, du Sud ou de l’Est. Ensuite, qu’ils s’en moquent. Naturellement !
En effet, l’oligarchie internationale craint bien moins la désintégration de l’Europe que l’adoption des instruments de finances publiques que nous proposons, susceptibles de redistribuer une partie de ses richesses mal acquises. Elle est donc prête à pousser l’Europe au bord du gouffre plutôt que de permettre la création de ces instruments.
Pourquoi ne pas simplement accepter la fin de cette UE ?
Nous sommes confrontés à une oligarchie de l’UE encline et prête à pousser l’UE au bord du gouffre plutôt que d’adopter les instruments financiers que des gouvernements démocratiquement élus pourraient utiliser contre elle, ce dans l’intérêt d’une majorité d’Européens de chaque État-membre de l’UE. Une Vision de l’Europe n’a pas suffisamment insisté sur cette réalité, laissant les lecteurs s’imaginer à tort qu’il s’agissait pour nous de convaincre. Comment pouvez-vous convaincre des gens tout-puissants qui savent déjà que votre raisonnement est juste, mais qui n’en ont rien à faire ?
Non, notre mission n’a jamais été de convaincre les pouvoirs en place, mais bien de les affronter. Non, notre mission n’a jamais été de réformer l’UE en ayant le dessus dans un débat au sein de l’Eurogroupe ou du Conseil européen. Il s’agissait de transformer l’UE via une confrontation acharnée sous forme de ce que nous appelons, à DiEM25, la Désobéissance Constructive : la suggestion de propositions constructives comme notre Green New Deal pour l’Europe, associée à une capacité à dire NON, à désobéir, jusqu’à la victoire.
Des amis partisans du « lexit », cette gauche qui a renié l’UE il y a longtemps et fait campagne pour la quitter, nous ont reproché la dimension « constructive » de notre Désobéissance Constructive et notre refus de faire campagne pour quitter l’UE. Ils nous interrogent : « Pourquoi promettre la lune en faisant des propositions que les pouvoirs en place européens ne prendront jamais en considération ? Pourquoi maintenir le faux espoir que cette UE puisse être transformée? ». Et enfin, « Pourquoi ne pas faire honnêtement campagne pour sortir nos pays de cette UE toxique ? ». Nos réponses ont été fermes et le restent, pour au moins trois raisons :
- Toute campagne pour sortir de l’UE, même fondée sur de bonnes raisons progressistes, nous aliénera ces Européens modérés, relativement apolitiques, que les progressistes doivent attirer. Ils s’inquièteront : « Si lamentable que puisse être l’UE, sa dissolution ne coûtera-t-elle pas énormément au citoyen lambda ? La fin de l’UE ne stimulera-t-elle pas le nationalisme, mettant ainsi en péril la coexistence pacifique sur notre continent ? » Les seules réponses honnêtes à ces deux questions sont affirmatives.
- Toute campagne pour sortir de l’UE accablera les militants en Allemagne et dans les autres pays excédentaires où les pouvoirs en place conservateurs sont tout-puissants. Je me souviens avec émoi des visages passionnés des jeunes militants à Hanovre ou à Hambourg chaque fois que je réitérais l’appel de DiEM25 à l’unité de tous, non pas en tant qu’Allemands ou en tant que Grecs, mais en tant qu’Européens progressistes formant un mouvement transnational visant à créer un demos transnational européen, qui finalement construira une véritable démocratie européenne. Savez-vous, cher lecteur, ce que ces mêmes jeunes Allemands ressentiraient si le message était : « Au diable l’UE, retournons tous dans nos États-nations respectifs et collaborons via nos gouvernements » ? Permettez-moi de vous le dire : ils seraient atterrés ! Ils penseraient immédiatement : « Nous sommes seuls. Tout seuls face à l’oligarchie allemande toute-puissante ! » Non, jamais je ne ferai cela. L’appel à un mouvement transnational pour construire une démocratie européenne transnationale était juste et, étant donné l’existence de cette UE, uniquement compatible avec une politique progressiste.
- Toute campagne pour sortir de l’UE, même si elle est motivée par un programme de gauche, ne profitera qu’à l’Internationale nationaliste qui ne manquera pas d’exploiter manu militari le tumulte provoqué par la rupture de l’UE pour construire de grands murs, diaboliser les étrangers, dresser peuples et communautés d’Europe les uns contre les autres, et renforcer l’alliance entre un État de plus en plus autoritaire et un cartel d’entreprises oligarchiques sans entraves.
DiEM25 a eu raison, pour les trois raisons ci-dessus, de rejeter la stratégie des partisans du « Lexit » consistant à appeler à une campagne de désintégration de l’UE via le Brexit, le Grexit, l’Italexit, le Frexit, etc.
De plus, DiEM25 n’a pas du tout fait preuve de naïveté en présentant une Vision de l’Europe qui suggère d’emblée des recommandations politiques spécifiques à court et moyen terme. En effet, notre Green New Deal pour l’Europe fournit un plan d’action raisonnable et modéré susceptible dès demain matin, dans le cadre des règles actuelles de l’UE, de guérir toutes sortes de maux : sortir de la crise de la dette publique et privée ; trouver les moyens de financer la transition verte ; élaborer un système de garantie de l’emploi pour mettre fin à la précarité, créer un dividende de base universel pour régler les problèmes d’inégalités et d’automation, etc.
Non, nous les membres de DiEM25 ne pensions pas naïvement que les pouvoirs en place dans l’UE seraient tellement impressionnés par notre Green New Deal pour l’Europe qu’ils le mettraient sur le champ en œuvre sous la simple pression de sa logique. Nous savions très bien qu’ils choisiraient plutôt de faire exploser le continent ! Alors pourquoi le présenter comme remède pour guérir l’UE alors que nous savions que ceux qui sont aux manettes de l’UE préféreraient la désintégration de l’UE à la mise en œuvre de nos politiques ? La réponse est que c’est le seul moyen de gagner le cœur et l’esprit d’une majorité d’Européens.
Soyons clairs : il existe deux types d’Européens. Une large minorité déjà à peu près convaincue que cette UE doit prendre fin : elle est constituée par des gens que nous sommes voués à perdre au profit des Matteo Salvini et Boris Johnson de l’Europe. Et une majorité composée de personnes qui savent qu’il y a quelque chose de pourri dans l’UE mais qui lèvent également les yeux au ciel en entendant des progressistes répéter des slogans vides tels que « Une autre Europe est possible ». Surtout lorsque nous leur disons que cette « autre Europe » n’adviendra que si nous mettons fin à l’UE existante. Si nous affirmons : « Cette UE doit prendre fin », tout ce que nous arriverons à faire, c’est de les amener à éprouver une étrange compassion pour les fonctionnaires de l’UE. Pour se réveiller de leur apathie et retirer leur consentement tacite aux méthodes des pouvoirs en place de l’UE, ils doivent d’abord éprouver une rage rationnelle contre ceux-ci.
Comment instiller une rage rationnelle contre les pouvoirs en place de l’UE dans l’âme et l’esprit de la majorité des citoyens ? D’abord, en répondant à leur question légitime : « De quelle manière exactement les choses pourraient-elles être faites différemment dans le cadre institutionnel existant ? » Si nous ne leur fournissons pas de réponse définitive et convaincante, nous les perdrons soit au profit de l’Internationale nationaliste raciste, soit au profit des pouvoirs en place illibéraux. En particulier, affirmer que rien de bon ne peut se produire dans le cadre de cette UE, c’est sonner le glas pour toute force politique progressiste. « Euro-TINA » (la doctrine selon laquelle il n’y a pas d’alternative dans cette UE) est un slogan réactionnaire de droite que DiEM25 a rejeté à juste titre dès le premier jour. C’est à dire le 9 février 2016 lorsque nous avons fondé à Berlin notre mouvement transnational, le premier qui ait jamais vu le jour.
L’analyse de DiEM25 était juste : le seul moyen de faire émerger une rage rationnelle chez les Européens est de leur démontrer combien il est facile de juguler chaque crise qui détruit le projet de vie de la plupart des Européens. De leur montrer tout le bien qui pourrait être fait à tant de personnes, et ce malgré les horribles règles et traités de l’UE. Une fois qu’ils auront vu cela, ils poseront automatiquement la question pertinente : « Si l’on peut faire tout ce bien dès à présent, pourquoi les dirigeants ne le font-ils pas ? » Étant donné que la seule réponse est que les autorités sont dans la poche d’une oligarchie disposée à détruire non seulement leur vie mais aussi l’UE, aider les gens à formuler cette question est la première étape pour voir se généraliser une désobéissance civile aux dirigeants de l’UE. C’est bien là l’essence de la Désobéissance Constructive de DiEM25 : expliquer ce que l’on peut faire et permettre, même aux gens politiquement indifférents, de ressentir la rage que ce ne soit pas fait.
En conclusion, DiEM25 a rejeté le « Lexit » et continue à le faire car il est vain de faire campagne pour la fin de l’UE. Nous pensons que les progressistes doivent prendre exemple sur le travail de l’oligarchie européenne. Regardez les représentants politiques de l’oligarchie : ils s’enveloppent dans le drapeau de l’UE, se faisant passer pour des Européens convaincus, afin d’exploiter l’impression de la plupart des Européens que non seulement la désintégration de l’UE coûtera cher aux simples citoyens mais qu’elle aidera également à faire éclore l’œuf du serpent dans chaque pays. Mais, en même temps, ils sont disposés à détruire l’UE pour servir leurs intérêts. Nous devons faire quelque chose de très similaire au nom du plus grand nombre.
Que devrions-nous faire ? Comme l’oligarchie, nous devons rester à l’écoute de l’intuition prémonitoire de la majorité des Européens selon laquelle la fin de l’UE infligera la plupart des coûts aux plus faibles, tout en ne renforçant que les néofascistes. Ce qui exclut une campagne pro-Lexit. Cependant, comme l’oligarchie, nous devons être prêts à mener l’UE au bord du gouffre dans la poursuite des politiques minimales qui sont nécessaires pour servir les intérêts du plus grand nombre contre ceux de l’oligarchie. Pour parler franchement, comme les ministres des finances néerlandais et allemand, nous devons être prêts à faire exploser l’UE afin de protéger les intérêts de notre peuple ; c’est-à-dire la grande majorité des Européens.
À relire Une Vision de l’Europe, j’en viens à faire mon autocritique : nous avons trop mis l’accent sur la dimension « constructive » de la Désobéissance Constructive et pas assez sur la dimension « désobéissance » – et la nécessité d’envisager, et même de préparer la fin de l’UE.
L’étude de cas évidente : le Brexit
La Covid-19 a frappé le plus durement les personnes vivant dans les pays, par exemple l’Italie et l’Espagne, les moins à même de dépenser les fonds nécessaires pour sauver vies et emplois. Face à la détermination de l’UE à insister pour prêter de l’argent avec intérêt aux victimes, au lieu d’accepter la logique de l’union budgétaire comme condition préalable à une union monétaire stable et civilisée, j’ai écrit dans The Guardian ce qui suit :
« Le message adressé aujourd’hui aux Italiens, aux Espagnols, aux Grecs, etc. est le suivant : votre gouvernement peut emprunter des sommes importantes au fonds de sauvetage européen. Sans conditions. Vous recevrez également de l’aide des pays où l’emploi résiste mieux, afin de vous permettre de payer les allocations chômage. Mais, dans un an ou deux, alors que l’économie de votre pays sera en train de se redresser, on exigera de vous une nouvelle phase d’austérité, considérable, pour remettre les finances publiques en conformité avec les règles. Y compris le remboursement des sommes dépensées pour vos allocations chômage. Cela revient à aider les personnes tombées à se relever, mais à les frapper sur la tête à mesure qu’elles font mine de se relever. »
Le 25 mars 2020, Ambrose Evans-Pritchard a rapporté dans The Telegraph un passage d’une conversation que nous avions eue :
« Le socialiste grec a déclaré qu’il s’était toujours efforcé de garder la foi européenne – même dans ses pires affrontements avec Bruxelles – mais qu’il avait finalement jeté l’éponge. « Je ne pense pas que l’UE soit capable de nous faire autre chose que du mal. Je me suis opposé au Brexit, mais je suis maintenant arrivé à la conclusion que les Britanniques ont fait le bon choix, même s’ils l’ont fait pour de mauvaises raisons », a-t-il déclaré. »
Je peux le confirmer, ce sont bien là mes propos. Il est intéressant de noter qu’ils ont fait forte impression sur de nombreux défenseurs du Brexit qui ont bien accueilli ma « conversion ». Certains partisans du Lexit sont allés plus loin en approuvant ma « nouvelle » position tout en me reprochant d’avoir pris trop de temps pour m’y résoudre, de ne pas avoir promulgué le Grexit lorsque j’étais ministre des Finances. En ajoutant que DiEM25 avait gaspillé de l’énergie en s’en tenant à son projet de réforme de l’intérieur (Remain-and-Reform).
Me suis-je retrouvé sur le Chemin de Damas juste après le moment où la Covid-19 frappait l’UE ? Mais non ! Pendant des décennies, j’ai fustigé l’UE avec de solides arguments exposant la perversité de sa misanthropie. Depuis le début de la crise de l’euro, je dénonce ses pratiques de « simulacre de noyade budgétaire » (récemment taxées du terme de « dispositifs de torture » par Heiko Mass, l’actuel ministre allemand des Affaires étrangères lui-même). J’ai même qualifié Bruxelles de zone sans démocratie. Donc, affirmer à Evans-Pritchard que l’UE n’est capable que de faire souffrir notre peuple n’avait rien de nouveau.
Ce qui était nouveau, c’est que je juge qu’en fin de compte, en optant pour le Brexit, les Britanniques ont fait le bon choix pour de mauvaises raisons. C’est une déclaration qui nécessite une explication, ne serait-ce que parce qu’elle a une certaine influence sur ma vision de l’Europe, entre autres.
Premièrement, permettez-moi d’expliquer pourquoi j’ai suggéré que les Britanniques avaient finalement eu raison de quitter l’UE. La zone euro est souvent décrite comme une union au sein d’une union, ou un club au sein d’un club. Bien que cette description soit formellement correcte, elle néglige d’évoquer les forces centrifuges que la création de l’euro a déchaînées. Une fois la monnaie unique créée, en l’absence délibérée d’instruments de dette communs et d’un système bancaire commun, le train de l’UE a été mis sur une voie menant inexorablement à un point de jonction. Là, il pouvait soit carrément bifurquer vers l’unification soit continuer sur la même voie jusqu’au déraillement et à la désintégration. Ce point de jonction a été atteint avec la crise de l’euro, mais les pouvoirs en place de l’UE, pour les raisons expliquées précédemment, résistent à l’unification – forçant ainsi l’UE à dérailler. Dans ces circonstances, ce n’est pas une erreur de la part du peuple britannique de quitter ce vestige de train au ralenti.
Deuxièmement, pourquoi ai-je dit, apparemment avec condescendance, que les Britanniques se sont retirés pour de mauvaises raisons ? Cela devrait être évident pour les progressistes : les mensonges sur les milliards de livres qui seraient économisées et redirigées vers le système de santé, le National Health Service. La diabolisation des migrants de l’UE accusés de mettre la pression sur les services sociaux (alors que celle-ci était due à l’austérité mise en œuvre par les Conservateurs). Les visions chauvines d’une Grande-Bretagne libérée, vouée au marché, naviguant sur l’océan de la libre entreprise tout en reconstituant son Empire. Le rôle des réseaux obscurs de la désinformation ciblant les personnes susceptibles d’adhérer aux discours de haine.
Troisièmement, et surtout : ai-je regretté que DiEM25, et moi personnellement, ayons fait campagne contre le Brexit ? Pas le moins du monde. Quiconque a été témoin de notre campagne de 2016 se rendra compte qu’elle était à deux volets. Contre les partisans du Brexit qui soufflaient, volontairement ou non, du vent frais dans les voiles du nationalisme. Et, avec une égale férocité, contre les anti-Brexit qui décrivaient l’UE comme la plus belle invention depuis le fil à couper le beurre.
Quant à l’accusation de mes amis britanniques pro-Lexit selon laquelle, lorsque j’étais ministre des finances de la Grèce, je n’étais pas prêt à appuyer sur la gâchette pour quitter la zone euro, ce n’est qu’un mensonge. J’y étais prêt et je l’aurais fait, si mon propre gouvernement n’avait pas cédé. En effet, si j’étais tellement détesté par les pouvoirs en place de l’UE, c’est parce que bien que je ne fusse pas partisan du Lexit, cela ne m’aurait pas empêché (et la troïka le savait bien) d’appuyer sur la gâchette et d’émettre une nouvelle drachme. Si j’avais été pro-Lexit, cela ne leur aurait pas posé problème, car la majorité des Grecs ne m’auraient pas suivi. Ce qui a fait de 2015 un moment où les pouvoirs en place de l’UE craignaient pour leur domination, ne fût-ce que pendant quelques mois seulement, c’est qu’ils étaient confrontés à un ennemi pro-européen disposé à faire ce qu’ils ont fait : aller jusqu’au bord du gouffre en étant même prêt à faire exploser l’euro, voire l’UE elle-même, plutôt que de trahir les intérêts de son peuple (c’est-à-dire la majorité des Européens, pas seulement des Grecs).
Notre Vision de l’Europe exige un nouveau radicalisme, de nouvelles alliances, de nouvelles ruptures
Notre Green New Deal pour l’Europe en constante évolution est crucial. Mais ce n’est pas assez. La Covid-19 a créé une nouvelle situation. Les sommes que notre Green New Deal a proposées pour financer la transition verte (500 milliards d’euros par an) ont été tournées en ridicule en 2019. Mais, aujourd’hui, elles semblent totalement sous-estimées.
Le capitalisme est temporairement suspendu. Notre vision de l’Europe ne peut plus reposer uniquement sur les propositions constructives qui constituent la dimension « constructive » de notre stratégie de Désobéissance Constructive.
C’est le moment d’envisager une Europe post-capitaliste. Dans ce contexte, le Green New Deal doit être reconnu comme un tremplin vers un avenir très différent. Nous devons maintenant inspirer les gens avec une vision de ce qui suivra à la fois le capitalisme et notre Green New Deal.
Quelle devrait être cette Vision ? Voici quelques idées : une démocratie économique où les entreprises sont dirigées selon le principe : une personne, une action non échangeable, une voix. Où il n’y a pas de banques privées mais où la banque centrale fournit un compte numérique gratuit à chaque citoyen. Une société qui accorde un fonds fiduciaire à chaque bébé à sa naissance.
En ce qui concerne les alliances, la version originale de d’Une Vision de l’Europe avait raison d’avertir les xénophobes et les crypto-fascistes que nous les combattrons partout. Mais nous avions négligé d’avertir les derniers représentants de ce qui était autrefois la social-démocratie que nous les traiterions aussi comme les agents toxiques d’un pouvoir en place récalcitrant. Soyons clairs à ce sujet : ce sont les forces du pouvoir social-démocrate qui ont fait le plus de tort à la cause progressiste en Europe.
Qui a donné à l’oligarchie de l’UE le soutien et la légitimité les plus efficaces au cours de la dernière décennie ? Pas les partis conservateurs. Mais les SPD allemand et autrichien, les Socialistes en France, le Parti Démocrate en Italie, les partis grecs PASOK et SYRIZA qui ont signé chaque abomination de la troïka, le nouveau président portugais socialiste de l’Eurogroupe, etc. Alors que beaucoup de progressistes sont encore empêtrés dans le réseau toxique de ces partis et doivent en être libérés, notre Vision de l’Europe n’aura de chance d’aboutir que si DiEM25 n’a rien à voir avec ces partis au pouvoir.
En revanche, le fossé entre nous, DiEM25, et les partisans du Lexit doit maintenant être comblé. Nous devons accepter de ne pas être d’accord sur la question de savoir si la bonne tactique est d’exiger une sortie de l’UE ou, comme le croit DiEM25, de continuer à envisager une union démocratique. Mais nous devons surmonter ce désaccord et nous projeter dans une Europe internationaliste et post-capitaliste. DiEM25 vise à rapprocher les progressistes européens indépendamment de l’UE. L’Europe, nous devons le crier sur tous les toits, ce n’est PAS l’Union Européenne. Il nous faut, à l’instar des banquiers et des fascistes, nous unir par-dessus les frontières de l’UE et au-delà.
Enfin, pour que notre Vision de l’Europe soit en accord avec notre internationalisme, nous devons l’intégrer dans notre Vision du Monde – exactement comme DiEM25 lutte actuellement pour construire l’Internationale Progressiste avec de merveilleux progressistes de toute la planète.
Il ne fait aucun doute que pour que ce rêve se réalise à long terme, il reste beaucoup à faire. C’est là une œuvre physiquement épuisante, mentalement exténuante, émotionnellement dévastatrice. Mais une œuvre à laquelle nul ne peut imaginer renoncer. La meilleure façon de continuer est de faire des pauses mises à profit pour développer davantage notre Vision de l’Europe, notre Vision du Monde.
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