La dystopie des entreprises arrive : voici comment la gauche doit la combattre

Au-delà de la crise immédiate de santé publique, la pire récession en Europe depuis l’aube de l’ère industrielle se profile. La pire récession en Europe depuis l’aube de l’ère industrielle.

Nous sommes confrontés, selon toute vraisemblance, à la métamorphose du néolibéralisme en quelque chose de plus sombre, plus autoritaire et chargé de nationalisme. Mais nous avons aussi une occasion unique de procéder à un changement radical généralisé, dont les élites sont bien conscientes. Il est plus urgent que jamais que les travailleurs s’organisent pour défendre et promouvoir leurs intérêts contre la tyrannie de la classe milliardaire.

La récession du coronavirus sera longue et sineuse, et elle exacerbera le passage du néolibéralisme au capitalisme d’État corporatif.

Grace Blakely observe qu’une sursaturation du marché conduira à la montée d’une nouvelle oligarchie qui exercera un pouvoir quasi-monopolistique. À l’heure où une vague de faillites s’abat sur les petites entreprises européennes, les plus grandes sociétés sont propulsées vers de nouveaux sommets de suprématie, Jeff Bezos étant en passe de devenir le premier trillionaire du monde. Cela le rendrait plus riche que le PIB de n’importe quelle économie sur terre sauf treize, et donnerait à Amazon le genre de pouvoir que vous associeriez à la Compagnie des Indes orientales, une société du XIXe siècle qui fonctionnait comme un État à part entière.

Non seulement cela donnera un tout nouveau sens à l’expression « trop grand pour échouer », mais encore cette phrase inquiétante, « le socialisme pour les riches », sera institutionnalisée. Si elle n’est pas remise en question, elle transformera les « démocraties dirigées » d’Europe en tyrannies ploutocratiques où l’économie sera planifiée par des entreprises monstrueuses et encouragée dans ses efforts par de simples figures de proue prétendant diriger les gouvernements européens. Avec une démocratie invalidée, les seigneurs milliardaires inaugureront l’ère du despotisme des entreprises.

La gauche européenne n’est actuellement pas en mesure de résister à cela. Au cours de la dernière décennie, son aile électorale a été la proie de la pasokification, un phénomène nommé d’après le Parti social-démocrate de Grèce qui a vu sa part de voix s’effondrer, passant de 43,9 % en 2009 à 4,6 % en 2015. Des événements similaires se sont produits en France, en Allemagne, en Grande-Bretagne et aux Pays-Bas. L’un des derniers bastions européens du succès de la gauche se trouve en Espagne, où une coalition d’Unidas Podemos et du PSOE maintient la flamme du socialisme électoral. Tout cela s’est produit dans le contexte de quarante ans de déclin de la syndicalisation sur la plus grande partie du continent, en particulier dans le secteur privé.

Avec une intervention sans précédent de l’État dans l’économie et une nouvelle appréciation publique de la santé, des soins et des autres travailleurs essentiels, il semblerait à beaucoup que l’esprit du temps politique tourne maintenant en faveur de la gauche. Mais 2008 est la preuve de ce qui se passe lorsque la gauche part du principe qu’une crise donnera une légitimité évidente à ses arguments : l’establishment s’est emparé du récit et, dans la décennie suivante, les plus pauvres ont dû payer pour les manquements des riches.

Nous devons reconnaître que l’agenda politique ne nous est jamais accordé par la providence. Nous devons le saisir pour nous-mêmes.

Des solutions créatives sont nécessaires pour aller de l’avant. Heureusement, la gauche a grandi en taille et en force et compte aujourd’hui plus de penseurs, de militants et de membres de partis qu’il y a dix ans. Nous devons utiliser ces talents pour façonner notre avenir.

Tout d’abord, nous devons défendre la cause de la démocratie dans un monde de plus en plus antidémocratique : non seulement lors des élections parlementaires, mais aussi sur nos lieux de travail, dans nos organisations et dans nos communautés. Dans son récent article pour Jacobin, Ben Burgis suggère qu’une étape clé pour s’éloigner du capitalisme et se rapprocher du « socialisme de marché » serait de transformer toutes les entreprises privées en coopératives : cela éliminerait la structure hiérarchique descendante des entreprises et introduirait une véritable démocratie sur le lieu de travail. La classe capitaliste serait abolie, mais de telle manière que le monde resterait confortablement familier aux non-socialistes. Nous devons également nous efforcer de démocratiser nos propres institutions, telles que les syndicats et les partis politiques, où davantage de pouvoir doit être dévolu aux membres.

Deuxièmement, nous avons besoin d’une véritable unité à gauche. Des initiatives telles que l’Internationale Progressiste ont été critiquées pour leur approche dictatoriale de la question, mais les conséquences de la désunion sont trop graves pour être tolérées. L’année dernière en Grande-Bretagne, Extinction Rebellion a réussi à paralyser certaines parties de Londres et a propulsé les questions climatiques en tête de l’ordre du jour, mais sa prétention à être « au-delà de la politique » l’a empêché de soutenir le Parti travailliste de Jeremy Corbyn dans ce qu’il a appelé à juste titre une « élection climatique ». En ne levant pas le petit doigt pour empêcher la victoire écrasante des conservateurs, Extinction Rebellion n’a pas réussi à participer à la bataille pour débarrasser la Grande-Bretagne d’un gouvernement anti-environnemental. Nous n’avons plus le temps de répéter ces erreurs. Le mouvement vert, les syndicats et les autres affiliés de gauche doivent faire cause commune et reconnaître qu’on ne peut pas être écologiste sans être anticapitaliste, et vice versa.

Troisièmement, nous devons faire comprendre aux personnes qui votent habituellement pour des partis de gauche l’importance de l’action directe. La confiance excessive dans l’électoralisme peut être le reflet d’un « spectatoralisme détaché » observé par Mark Fisher : nous savons en théorie que la simple élection de gouvernements socialistes ne suffira pas à changer la société, mais beaucoup hésitent encore à s’engager activement, cédant au désespoir et à la peur de l’inévitable avec lesquels le néolibéralisme cherche à nous endoctriner. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas se préoccuper de voter : la mesure dans laquelle les élites tentent activement de priver des groupes de leurs droits de vote démontre l’importance de la participation électorale. Mais il ne faut pas se contenter d’encourager les gens à voter : il faut les inciter à s’engager dans la politique de leur pays et de leur communauté, que ce soit en défendant une cause, en participant à des groupes de soutien communautaire ou (lorsque les mesures de distanciation sociale le permettent) en protestant.

Cela rejoint le quatrième point : nous devons dynamiser et soutenir le mouvement syndical. Il existe un lien direct entre la baisse du nombre de syndiqués et l’augmentation des inégalités dans la société. La nécessité de redresser ce déséquilibre est aujourd’hui plus essentielle que jamais. Malgré le faible nombre d’adhérents, en particulier dans le secteur privé, les syndicats ont remporté de nombreuses batailles importantes au cours des dernières années, notamment en France contre le brutal régime néolibéral de Macron, et récemment en Grande-Bretagne, où les syndicats ont empêché le gouvernement de réduire l’aide fournie dans le cadre de son programme de maintien de l’emploi de 80% à 60% des salaires d’avant le départ en retraite.

Maintenant que le gouvernement de Boris Johnson cherche à rétablir le profit dans l’économie en exposant la classe ouvrière au coronavirus, les syndicats pourraient bien devenir les seules barrières qui se dressent entre les travailleurs vulnérables et ce qu’Engels a appelé le « meurtre social ». Mais les syndicats ne doivent pas seulement se battre pour nos vies, ils doivent aussi se battre pour nos libertés : James McAsh a écrit que le droit de travailler à domicile pour ceux qui le peuvent ne devrait pas être suspendu à la fin du confinement, car il représente un changement dans la dynamique du pouvoir au travail et peut s’avérer essentiel pour revitaliser les communautés locales.

Enfin, la gauche doit devenir une meilleure communicante. Il semble que nous ayons perdu le contact avec de nombreuses sections de la classe ouvrière, et il est essentiel que les voix des classes moyennes et supérieures de la gauche cèdent du terrain et écoutent ces communautés. Les institutions de la gauche ne peuvent pas compter sur les classes moyennes et supérieures qui peuvent se permettre de faire du bénévolat pendant de longues périodes sans travail rémunéré. Nous devons également soutenir les médias alternatifs en plein essor, avec des organes comme Tribune, Double Down News, Novara et Jacobin qui offrent un équilibre de gauche aux médias de propagande traditionnels. La plateforme WIRE de l’Internationale Progressiste est un début, qui traduit des histoires, des essais et des déclarations de publications progressistes du monde entier. Ceux qui en ont les moyens devraient soutenir financièrement ces publications, et ceux qui ne peuvent pas le faire devraient passer le mot à leurs amis et à leur famille.

Nous devons nous unir, nous organiser et gagner : pour nous-mêmes, pour la planète et pour nos enfants.

Si nos outils contre les élites dans la bataille à venir ne consistent qu’en des mèmes et des tweets dans l’écho-chambre des médias sociaux, alors nous pouvons nous attendre à ce que la prochaine décennie et au-delà soient encore plus sombres que la précédente. Déjà, l’establishment commence à forger le récit des dix prochaines années et à utiliser cette crise à son avantage. On murmure un retour à l’austérité, et avec la montée du fascisme dans le monde occidental, les dirigeants vont probablement intensifier les attaques contre les migrants et les minorités ethniques.

Si Rosa Luxemburg avait raison de dire que l’avenir serait soit une avancée vers le socialisme, soit un recul vers la barbarie, alors l’establishment actuel a régulièrement prouvé qu’il opterait toujours pour cette dernière solution. Il faut insister sur le fait que le coronavirus n’a fait qu’exposer ce qui était déjà un modèle socio-économique inapplicable. Au cours de la dernière décennie, les économies d’Europe occidentale ont fait preuve de la même faiblesse structurelle et de la même stagnation socio-économique que les économies du bloc soviétique en Europe de l’Est dans les années 1980. Le vieillissement de la population, l’effondrement du PIB mondial et la sixième extinction massive nous obligent à trouver un autre mode de vie. En 2008, la gauche n’a pas réussi à gagner la bataille pour le monde de l’après-effondrement. Elle ne peut pas se permettre de perdre à nouveau.

En Grèce, MeRA25 a réussi, lors des élections législatives de 2019, à entrer au Parlement avec 9 députés. C’est un signe d’espoir pour la gauche. DiEM25 travaille actuellement à la mise en place d’antennes électorales à travers l’Europe afin d’introduire un véritable Programme européen.

Pour plus d’informations sur l’unité de la gauche, voir l’initiative de l’Internationale Progressiste soutenue par DiEM25, et pour les lecteurs du Royaume-Uni, visiter le site du T.U.C pour adhérer à un syndicat aujourd’hui.

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