En dépit des traités, les armes nucléaires demeurent

L’absence de désarmement nucléaire en 2021 constitue un échec mondial dans la lutte contre cette menace existentielle pour l’humanité.                      

Depuis le 22 janvier 2021, les armes nucléaires sont devenues illégales au regard du droit international avec le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN) entrant en vigueur.

Cet accord est célébré à juste titre comme un « jalon historique » (Secrétaire général de l’ONU, António Guterres) de la législation sur le désarmement nucléaire, et une lueur d’espoir pour les groupes antinucléaires du monde entier. En outre, il constitue un acte important de solidarité et de collaboration mutuelle entre les nations participantes. Cependant, ses effets dans le monde réel sur les armes nucléaires restent encore assez douteux.

Selon Noam Chomsky, la menace d’une guerre nucléaire doit être prise très au sérieux. Les armes nucléaires restent l’une des trois causes potentielles les plus préoccupantes d’extinction de l’humanité. Chomsky souligne que c’est « un miracle virtuel que nous ayons survécu, non seulement à de nombreux accidents, mais aussi à des actes ponctuels très irresponsables de la part des dirigeants ».

William Perry, une autorité de premier plan sur les questions de sécurité nucléaire, a une longue histoire à l’intérieur des murs des départements de la sécurité nationale et des conseils d’administration qui leur sont affiliés. Il est sorti de sa retraite il y a quelques années pour avertir le monde que:

« Aujourd’hui, le danger d’une sorte de catastrophe nucléaire est plus grand qu’il ne l’était pendant la guerre froide (…) et la plupart des gens n’en sont absolument pas conscients. »

Le monde est confronté à une double menace en ce qui concerne les armes nucléaires; le danger qu’elles représentent par elles-mêmes et le manque étonnant d’attention des peuples face à ce danger.

Des premiers pas à l’ONU au Traité de non-prolifération

Le premier acte officiel de corroboration sur la menace de guerre nucléaire date du 24 janvier 1946, où l’Assemblée générale des Nations Unies adopte sa toute première résolution par 46 voix contre zéro . Elle a appelé à «la création d’une commission chargée de traiter les problèmes soulevés par la découverte de l’énergie atomique». Cet appel initial au Conseil de sécurité de l’ONU à travailler sur l’élimination des armes nucléaires fut un échec, puisqu’au cours des deux décennies suivantes plusieurs autres membres permanents du groupe en ont fait l’acquisition. Cependant, les années suivantes marquées par la pression constante de la société civile, le bras de fer de 1958 au-dessus de Berlin, la crise des missiles cubains de 1962 et la poursuite de la prolifération des armements nucléaires ont su raviver la nécessité des traités pour un contrôle des armes nucléaires.

Ce nouvel élan a conduit à des accords imposant des limites aux États-Unis et à l’Union soviétique en ce qui concerne leur arsenal nucléaire, leurs systèmes de vecteurs et de défense. Cela a commencé avec le Traité sur les missiles anti-balistiques de 1972 (ABM), qui a fixé un plafond aux défenses antimissiles des deux pays, entre autres limitations.

De nouvelles négociations dans les années 1980 ont établi le Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (FNI) qui interdisait les missiles balistiques et de croisière terrestres d’une portée de 500 à 5000 km – tout en excluant les systèmes aériens et maritimes. Cela a conduit à la destruction de près de 2700 armes nucléaires. Vient ensuite le premier Traité de réduction des armements stratégiques (START I) qui a vu une diminution des armements nucléaires de l’Union soviétique / Russie et des États-Unis entre 1991 et 2009. Alors que les négociations successives sur START II et START III ont échoué, les Etats-Unis et La Fédération de Russie ont signé un traité bilatéral en 2010 – New START – qui a encore réduit les arsenaux nucléaires déployés par chaque pays à 1550.

Cependant, dans les années troubles (2010 à 2019), les traités ABM et INF ont cessé d’exister en raison du retrait des États-Unis en 2002 puis en 2019. Cela signifie que le nouveau START est actuellement le seul accord de contrôle des armes nucléaires entre la Russie et les États-Unis – ces deux pays qui ensemble représentent plus de 90% du total mondial. De récents rapports du Kremlin et de la Maison Blanche indiquent que le nouveau START sera renouvelé pour cinq années supplémentaires jusqu’en 2026. À moins que les deux parties ne s’entendent sur une prolongation, cette dernière limite expire le 5 février 2021 !

Sur le plan multilatéral, le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP) aurait dû endiguer l’augmentation des États dotés d’armes nucléaires. Il imposait en outre à ceux qui les possèdent l’obligation de s’engager dans le désarmement nucléaire en vertu de l’article 6 du TNP. La carence à poursuivre cet objectif par les signataires, associée à l’expansion des États dotés d’armes nucléaires qui sont passés de cinq en 1968 à neuf à partir de 2021, indique un échec mondial face à ce risque existentiel permanent qui menace l’humanité. Un péril qui, jusqu’à l’entrée en vigueur du TIAN, n’était pas illégal.

L’absence d’une telle interdiction a été citée par la Cour internationale de Justice (CIJ) dans son Avis consultatif de 1996 sur la « Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires ». La Cour a noté que les accords de maîtrise des armements – jusqu’en 1996 – constituent « une interdiction conventionnelle globale et universelle de l’emploi ou de la menace d’emploi » des armes nucléaires. TIAN – en tant qu’instrument du droit international – change le statu quo. Si un autre cas lié à la légalité des armes nucléaires devait être porté devant la CIJ, ceux qui plaideront en faveur de sa légalité auraient beaucoup de peine à étayer leurs arguments.

Bien que le traité ne s’applique qu’aux États parties, il marque un aboutissement en ce qui concerne les normes de maîtrise dans les affaires internationales: les acteurs impliqués dans le processus sont passés d’individus et de la société civile, aux organisations intergouvernementales. Ainsi, à travers cette évolution du cycle de vie des normes, les militants disposent d’un point de repère supplémentaire qui fait autorité dans leurs efforts concernant les armes nucléaires.

Un symbole de progrès pour les luttes antinucléaires et un acte de coopération Sud-Sud

Qui plus est, la constitution de cet accord offre désormais aux mouvements de désarmement nucléaire, ainsi qu’à toutes personnes concernées dans le monde, un symbole de progrès en la matière. Pas des moindres, car sa création est en grande partie un succès de franges militantes impliquées dans la question. Cela reflète les effets positifs que ces types d’efforts peuvent avoir. Il pointe vers des actions qui pourraient et devraient être entreprises à l’avenir pour parvenir à surmonter cette menace existentielle pour l’humanité.

Le traité constitue également un acte important de coopération et d’action conjointe entre les nations du Sud. Si l’on considère simplement qui sont les signataires du TIAN, ce fait devient immédiatement évident. Sur les 193 États membres de l’ONU, « seulement » 84 ont signé l’accord – parmi lesquels, pour la plupart, des pays du monde en développement, qui ne détiennent ni ne produisent eux-mêmes d’armes nucléaires.

Surtout: les neuf États dotés d’armes nucléaires, ainsi que tous les États membres de l’OTAN, n’ont ni signé ni même pris part aux délibérations qui ont conduit à l’accord – à l’exception des Pays-Bas, qui ont voté contre l’adoption du traité lors de la conférence de juillet 2017 consacrée à la négociation de l’accord. Cette ligne de partage entre les signataires et les non-signataires du traité retrace approximativement les frontières entre le Nord et le Sud (voir graphique ci-dessous).

Comme dans de nombreux autres cas – qu’ils soient de nature économique, sociale ou militaire, etc. – le même schéma persiste. Le Sud se réunit et coopère sur une question dans un esprit de travail progressiste  – le plus souvent en équilibrant les échelles de pouvoir et de privilège entre le Nord et le Sud – pendant que le Nord s’abstient de participer et refuse une couverture significative dans les exutoires de ses systèmes doctrinaux; c’est-à-dire les médias, les universités.

Le graphique montre les signataires du TIAN; divisés entre ceux qui ont ratifié l’accord (vert) et ceux qui ne l’ont pas encore fait (jaune). Tous les pays colorés en gris n’ont pas signé le traité. Source: Wikipédia

Prenons un cas qui le démontre et se trouve être directement lié à la question des armes nucléaires; combien de personnes en Occident ont connaissance des centaines (sinon des milliers) de civils et d’anciens combattants tués ou gravement blessés par les effets des essais nucléaires américains, français et britanniques en Océanie? Combien de fois a-t-on pris note dans la presse occidentale que Tahiti, île la plus peuplée de la Polynésie, a été exposée à un rayonnement 500 fois supérieur au maximum tolérable lors des essais nucléaires de la France dans les années 1960-70? Combien de fois a-t-on pu lire les mots suivants dans les principales publications européennes « littéralement arrosé de plutonium pendant deux jours » exprimés par Bruno Barillot, enquêteur du gouvernement polynésien? Cela est en totale contradiction avec la position officielle de longue date du gouvernement français, selon laquelle leurs essais nucléaires avaient toujours été propres. Combien de personnes savent que sur 800 dossiers déposés contre le gouvernement français par des victimes du test ou leurs familles, seulement 11 ont été indemnisés à ce jour? Leurs voix – tout comme celles des victimes du Nord Global – ne sont généralement pas entendues.

Un autre cas, qui reflète le même schéma, s’est produit en février 1999, lorsque deux séries de négociations économiques importantes se déroulaient simultanément. D’un côté il y avait les pourparlers du G-7 (sept pays les plus riches), qui, comme d’habitude, ont reçu une large couverture dans les médias occidentaux. De l’autre, les négociations du G-15 – aujourd’hui 18, puis 17 pays du soi-disant monde en développement, y compris des pays économiquement assez substantiels, comme l’Argentine, le Brésil, le Chili, le Mexique, l’Inde, l’Indonésie et le Nigéria – pays qui ne peuvent pas être simplement écartés de la scène mondiale. Les séries de pourparlers entre ces nations ont reçu beaucoup moins d’attention médiatique dans le monde occidental; presque aucune dans certains pays, comme les États-Unis ou la Grande-Bretagne, (un peu par BBC World Services et quelques phrases éparses ici et là).

Lors de ces pourparlers, les dirigeants des pays du Sud déploraient le fait que sur un certain nombre de questions, les États-Unis et la Grande-Bretagne ne voulaient pas engager de dialogue. Ces questions portaient notamment sur d’éventuelles réformes des règles de l’Organisation mondiale du commerce, qui au lieu de profiter seulement aux pays du Nord, pourraient pour changer, profiter également aux pays du Sud, et cela au-delà du niveau qui leur est habituellement réservé; celui des restes de la table des riches.

Le principal représentant du Nord et son fidèle « lieutenant » (comme un conseiller principal de Kennedy caractérisait autrefois les relations américano-britanniques) sont cependant restés silencieux sur cette occasion – comme sur tant d’autres. Et ni cela, ni l’appel à envisager des contrôles modérés sur les investissements étrangers, principalement occidentaux, n’ont été entendus par les acteurs politiques occidentaux ou repris par leurs homologues dans les médias.

En opposition à ce type d’irrévérence, DiEM25, qui a toujours dénoncé les conflits armés et appelé à une résolution pacifique des différends, appelle – dans un premier temps – au retrait de toutes les armes nucléaires du territoire européen. Nous dénonçons l’empiètement de l’industrie de l’armement dans l’enseignement primaire et secondaire – un aspect important qui n’est souvent pas pris en compte. Mais les écoles ne devraient pas faire partie de la normalisation de la prochaine génération à la guerre. Nous restons également préoccupés par les quotas accordés aux nations pour leurs émissions militaires dans le cadre de l’Accord de Paris – notant que l’armée américaine à elle seule émet plus de CO2 que 140 pays ensembles.

Rejoignez-nous dans nos efforts pour promouvoir le désarmement de l’Europe.

Source de l’image: Carte des participants au Traité TPNW/TIAN sur Wikipédia.

Cet article a été rédigé par Tom Stopford et Amir Kiyaei, membres du DSC Peace and International Policy.

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