Pour un exemple inspirant de la démocratie interne en action, ne cherchez pas plus loin que le document d’information de DiEM25 sur les élections françaises.
Par Alex Sakalis (publié initialement en anglais dans openDemocracy)
Nous savons tous que la démocratie est en mauvais état dans l’Union Européenne. Depuis la tragédie grecque de 2015, lorsque le voile a été levé sur le fonctionnement interne de l’Union européenne, il est clair que la démocratie n’est plus prêchée et encore moins pratiquée. Mais en même temps, de nouveaux processus démocratiques sont inventés. Un exemple de cela est DiEM25 : un mouvement paneuropéen et démocratique, dans sa manière de débattre des prochaines élections françaises.
Les membres français de DiEM25 ont commencé le débat entre eux, dans leurs DSC locaux (collectifs spontanés démocratiques) et sur le forum DiEM25. Afin que les non-francophones puissent suivre et participer au débat, il y avait aussi un Fil de débat en anglais, où les membres français résumaient ce qui était discuté et engagé, avec d’autres membres à travers l’Europe.
Le résultat a été un briefing écrit par les membres de DiEM25 France et approuvé par le Collectif de Coordination de DiEM, résumant chacune des principales politiques des candidats vis-à-vis de l’économie, de l’environnement et de la solidarité européenne.
Le document donne une brève évaluation des forces et des faiblesses de chaque candidat du point de vue du New Deal Européen De DiEM25. Il s’agit d’un ouvrage de fond et d’une ouverture de discussion conçue pour servir de base à la réflexion interne sur la position officielle de DiEM25 à l’égard du premier tour des élections présidentielles françaises. Le briefing pose également des questions intéressantes. Qui a les meilleures politiques sur l’environnement? Qui peut mieux guérir une société tendue qui travaille encore sous un «état d’urgence»? Et qu’est-il arrivé au prometteur Benoit Hamon?
Voici le briefing:
La position de DiEM25 pour les élections présidentielles et législatives françaises de 2017
Ce texte, écrit par les membres de DiEM25 France et approuvé par le Collectif Coordinateur, s’entend comme un briefing d’information qui serve de base pour une délibération interne à DiEM25, sur la position officielle à adopter vis-à-vis de l’élection présidentielle française (en particulier le premier tour).
Le système politique français (la Cinquième République), qui concentre de nombreux pouvoirs dans les mains d’une seule personne (le Président) et subordonne de facto le Parlement à l’exécutif, est très loin des principes démocratiques promus par DiEM25. Le fait que les élections législatives aient lieu un mois après les présidentielles tend à favoriser les candidats soutenant le président récemment élu. Par ailleurs, le système électoral (uninominal à deux tours, sans proportionnelle) favorise les grands partis installés, au détriment des formations nouvelles ou disposant de moins de moyens. De fait, deux candidats – Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon – ont inscrit dans leurs programmes l’instauration de la Sixième République, c’est-à-dire une refonte radicale du système politique français.
Elections présidentielles
En 2017, 11 candidats se présentent au premier tour de l’élection présidentielle, dont 5 ont – ou pourraient avoir – des perspectives crédibles de succès : François Fillon (Les Républicains – LR, droite dure), Marine Le Pen (Front National – FN, extrème-droite), Emmanuel Macron (En Marche – EM, centre-droit et centre gauche), Benoît Hamon (Parti Socialiste – PS, gauche, allié avec Europe-Ecologie Les Verts – EELV), Jean-Luc Mélenchon (France Insoumise – FI, gauche radicale).
Il n’est pas nécessaire de détailler les positions de Marine Le Pen, qui propose que la France quitte l’Euro et l’Union Européenne (Frexit), ni celles de François Fillon, qui, sur la question européenne, est aligné sur Angela Merkel, et, du point de vue économique et social, propose des politiques d’austérité dévastatrices. Il est cependant important de noter que Marine Le Pen semble presque assurée de figurer au second tour. Comme, selon les enquêtes d’opinion, Marine Le Pen serait battue au second tour quel que soit son adversaire, cela signifie que l’autre candidat qui arrivera dans les deux premiers à l’issue du premier tour sera quasiment certain d’être le prochain président de la République.
DiEM25, par conséquent, est limité à évaluer les mérites relatifs de trois candidats : Benoît Hamon, Emmanuel Macron, et Jean-Luc Mélenchon.
Benoît Hamon
Sur la reprise économique en Europe, Benoît Hamon propose un programme basé sur l’investissement vert et la transition écologique, la mutualisation de la dette et son rachat par la BCE, la convergence sociale et un salaire européen minimum, une politique d’accueil des réfugiés, l’harmonisation fiscale et un budget européens, la suspension du CETA.
Note : Alors que certaines de ces mesures sont en convergence avec le programme de DiEM25, elles manquent malheureusement de la précision des mesures similaires proposées par DiEM25 dans le New Deal Européen. Par exemple, il n’y pas de lien direct entre le projet de « quantitative easing » de la BCE, et un programme pan-européen d’investissement géré par la Banque Européenne d’Investissement (EIB) – pas de plan de limitation de dette qui puisse être appliqué à la dette publique de l’Eurozone sans changement de traité ou sans modifier la charte de la BCE – une réaffirmation du respect de la contrainte de 3% de déficit budgétaire de Maastricht, qui contredit la position de Hamon en faveur d’un revenu universel (qui, par ailleurs, diffère profondément de la proposition de Dividende de base Universel soutenu par DiEM25 – voir plus bas). Le résultat est un programme politique caractérisé par la naïveté, et qui est la cible de critiques légitimes de la part des opposants de Hamon.
Concernant la démocratisation de l’Europe, Benoît Hamon adopte les propositions du groupe de Piketty en faveur de la création d’une Chambre Européenne, qui serait constituée de parlementaires issus des parlements de chaque pays européen. Cela rentre en contradiction avec la position de DiEM25, qui est de mettre en oeuvre un processus d’Assemblée Constitutionnelle, plutôt que de créer une forme déguisée de parlementarisme qui masque le manque de légitimité démocratique.
Note : La proposition de Chambre Européenne est une forme de « rupture de contrat » pour DiEM25 parce qu’elle démontre la préférence de Hamon pour un faux fédéralisme qui, finalement, ne diffère pas vraiment des intentions du couple Macron-Schäuble.
Sur le plan social, Hamon prévoit d’abroger la loi El Khomri et d’instaurer progressivement un revenu universel, dont les modalités ont varié au cours de sa campagne. Il propose aussi une Europe de la défense et une politique européenne de l’Energie. En termes de méthode, Hamon propose une renégociation progressive des traités, sans être précis sur la manière d’y arriver.
Note : L’idée d’un Revenu Universel de base a procuré à Hamon un « appel d’air ». proposal has given Hamon much ‘air’ space. Mais cette idée est fondamentalement imparfaite. DiEM25 a expliqué (dans le cadre de notre New Deal européen) que, si un versement universel de base est crucial, il ne peut et ne devrait pas être financé par les taxes. Si tel est le cas (comme l’indique le programme de Hamon), cela entraînera une éruption des dépenses du gouvernement ou cannibilisera l’état providence existant. C’est pour cette raison que notre New Deal européen a mis beaucoup de réflexion sur les moyens de financer un dividende de base universel non pas de l’impôt, mais de créer un dépôt de capitaux européen qui détiendra les droits de propriété sur les rendements des droits des capitaux et de la propriété intellectuelle. La proposition de Hamon est, en ce sens, primitive, et endommage les perspectives à long terme d’une bonne idée.
En résumé : Le programme de Benoît Hamon semble le plus proche du New Deal Européen de DiEM25. Hélas, il en est encore trop loin. Les propositions du programme Hamon qui sont similaires à celles de DiEM25 sont beaucoup moins précisees que celles du New Deal européen et, par conséquent, ouvertes aux attaques légitimes de la droite. Quant aux autres propositions, qui concernent l’avenir démocratique de l’Europe, elles sont trop proches de Macron et impossibles à défendre par la gauche. Pour cette raison, DiEM25 aurait du mal à soutenir Benoît Hamon au premier tour.
Emmanuel Macron
Sur l’Europe, Emmanuel Macron tient un discours pro-européen qui, sur certains points, est compatible avec certaines positions de DiEM25, notamment sur les conventions démocratiques, les réfugiés, et une politique en faveur de solutions de type fédéral.
Mais sa promptitude à approuver une austérité générale en échange d’un budget macro-économique de l’Eurozone qui serait insignifiant constitue de fait, une capitulation au plan de Wolfgang Schäuble pour l’Europe. Plus inquiétant, Macron s’aligne sur les politiques d’Angela Merkel et envisage une réforme néo-libérale du marché du travail, dans l’esprit des réformes Hartz-Schröeder, et des coupes dans les aides de l’Etat aux collectivités territoriales. Les lois Macron et El Khomri qu’il a inspirées, donnent une idée de ses politiques futures, de même que ses récentes prises de position en faveur de la réduction de l’actuel impôt sur la fortune, et sans se prononcer sur une éventuelle hausse des impôts sur les successions. Macron est aussi en faveur du CETA.
En résumé : Etant donnée la position insoutenable de Macron sur l’Europe, et sur son programme néolibéral pour la France, DiEM25 ne peut pas soutenir sa candidature au premier tour de l’élection présidentielle.
Jean-Luc Mélenchon
Le programme de Jean-Luc Mélenchon comprend beaucoup de mesures proches de celles proposées par Benoit Hamon, en particulier en ce qui concerne la Banque Centrale Européenne, le rachat de la dette publique, la relance économique, la transition écologique et la convergence sociale. Mélenchon s’oppose à Hamon sur la règle du déficit du traité de Maastricht, sur la défense, et sur le revenu universel. Il défend la mise sous tutelle de la BCE, le contrôle de la finance, la fin de la libéralisation des services publics et un « protectionnisme solidaire et écologique ».
En termes de méthode, Jean-Luc Mélenchon prévoit deux approches des questions européennes :
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le Plan A commence par la cessation unilatérale de l’application des traités budgétaires et des directives sociales régressives, ainsi que le contrôle des capitaux. Il propose ensuite de renégocier les traités et les directives , par la menace d’en sortir.
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Le plan B, en cas d’échec des négociations du plan A, prévoit, après référendum, la sortie de la monnaie unique pour une monnaie commune aux états volontaires et la mise en place de « coopérations avec les autres peuples d’Europe ».
En résumé : Les propositions de Melenchon auraient pu avoir le soutien complet de DiEM25 en… 1983. Sa vision des règles fiscales et monétaires auraient été fort préférables à ce qui fut finalement décidé, en commençant par Maastricht. Cependant, DiEM25 croit profondément que, en 2017, les plans A et B sus-cités sont inappropriés. Toute tentative de les mettre en oeuvre provoquera une ligne de fracture qui séparera les pays en excédent des pays déficitaires, le long du Rhin et à travers les Alpes, avec pour résultat une crise accélérée de déflation extrême au Nord-Est, et une « stagflation » partout ailleurs. Peut-être ceci est-il inévitable, et arrivera même sans l’élection de Jean-Luc Melenchon (et ce serait le résultat des terribles effets des politiques actuelles de l’establishment). Mais faire de ces développements tragiques ceux de la gauche est un mauvais calcul qui, à la fin, ne bénéficiera qu’à Marine Le Pen. C’est la raison pour laquelle DiEM25 ne peut pas soutenir la candidature de Jean-Luc Melenchon.
Elections législatives
Etant donné qu’il est probable – en l’absence d’une coalition entre Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon – que le candidat élu ne soit pas issu de l’un des partis principaux (PS, LR), la question se posera de savoir si le prochain président aura une majorité à l’Assemblée Nationale. Dans l’hypothèse – probable – de l’élection de Emmanuel Macron, celui-ci devra gouverner avec une Assemblée qui pourrait être majoritairement à droite, ou avec une assemblée sans majorité stable, avec des groupes LR et PS importants, ainsi qu’un groupe FN plus large qu’aujourd’hui.
Par ailleurs, il faut tenir compte d’une probabilité significative d’éclatement du Parti Socialiste (PS) à l’issue des élections présidentielles, surtout dans le cas de l’élection de Emmanuel Macron. Cela pourrait permettre la constitution d’alliances lors des élections législatives : la gauche de Hamon et celle de Mélenchon pourraient saisir l’opportunité de renforcer le poids de la gauche progressiste et sociale au sein de l’Assemblée Nationale.
La position de DiEM25 France
DiEM25 aimerait soutenir un seul candidat avant le premier tour. En tant que mouvement politique, nous avons le devoir et le besoin de proposer une ligne claire aux électeurs français qui demandent notre conseil. Certains d’entre nous craignent que, en ne prenant pas parti dans un moment politique important, DiEM25 risque de devenir insignifiant dans le paysage politique français. Ceci étant dit, la situation politique actuelle de la France soulève de sérieuses questions sur l’opportunité de défendre un des 3 candidats ci-dessus en particulier.
Le centre gauche a clairement « implosé », en conséquence des 5 années de gouvernement du Président François. Benoît Hamon a vaillamment essayé de sauvegarder le Parti Socialiste du naufrage provoqué par Hollande, mais a adopté des orientations politiques qui, même si elles sont bien intentionnées, manquent de crédibilité. En outre, beaucoup de membres de DiEM25 en France ne font pas du tout confiance au Parti Socialiste, et craignent que Benoît Hamon se ‘Hollandise » après l’élection ou, plus probablement, échoue à transformer la culture du PS.
Le Front de Gauche de Jean-Luc Mélenchon a aussi échoué à sauter sur l’opportunité. Son programme ne peut pas être mis en oeuvre juste après l’élection de manière à stabiliser la crise économique française et européenne pour permettre un progressisme internationaliste novateur de voir le jour contre les forces de l’establishment d’une part, et de « l’Internationale Nationaliste » d’autre part. De plus, ses discours divergent parfois de ceux de son entourage proche : pour certains le plan B n’existe que pour forcer à négocier sérieusement le plan A ; pour d’autres, le plan B est d’ores et déjà leur plan A, ce qui fait d’eux des alliés, même involontairement, de Marine le Pen.
Quant à Macron, il s’est exclus par sa décision de rechercher à la fois l’approbation de Angela Merkel, et d’une partie de la bourgeoisie française qui ne demande des diminutions d’impôts que pour elle-même.
Idealement, DiEM25 voudrait ne voir qu’un seul candidat représenter l’internationale progressiste à l’élection présidentielle française ; ce serait la seule manière de s’assurer simultanément la défaite de Marine Le Pen et de l’establishment néolibéral, au moins au premier tour. L’échec à construire une telle alliance est l’opportunité pour DiEM25 France de penser, de s’unir et d’agir politiquement sur la question européenne.
CONCLUSION : La position de DiEM25 – proposition
DiEM25, comme toujours, décidera de sa position collectivement et démocratiquement, par un vote interne qui proposera 4 options :
Option A – La proposition des membre de DiEM25 France telle qu’approuvée par les membres du Collectif Coordinateur de DiEM25 : DiEM25 appelle les progressistes français à : (1) Voter au premier tour de l’élection présidentielle pour n’importe quel candidat autre que Le Pen or Fillon, (2) faire campagne pour une liste unique de candidats progressistes internationalistes aux élections législatives.
Option B – Voter pour Benoît Hamon au premier tour de l’élection présidentielle
Option C – Voter pour Emmanuel Macron au premier tour de l’élection présidentielle
Option D – Voter pour Jean-Luc Mélenchon au premier tour de l’élection présidentielle
NB : Deux débats sont disponibles sur le forum pour discuter de ce que la position de DiEM25 devrait être au sujet des élections présidentielle et législative :
L’une est en français : https://diem25.org/forum/viewtopic.php?f=175&t=13895
L’autre est en anglais : https://diem25.org/forum/viewtopic.php?f=175&t=13894
Et voici les résultats:
A (59.48%)
B (13.62%)
C (8.08%)
D (18.83%)
Conformément au principe de DiEM en tant que mouvement pan-européen, tous les membres de toutes les nationalités ont été autorisés à voter. Après tout, comme les élections allemandes, les élections françaises auront une incidence sur le reste de l’Europe autant qu’elles affecteront la France.
Et remarquablement, les membres ont choisi de ne pas se rallier à un candidat, mais de soutenir une alliance de forces contre le fascisme et / ou le néolibéralisme.
Outre les débats présidentiels français, les membres de DiEM25 ont précédemment participé à des discussions démocratiques pour arriver à leurs positions pour le Référendum sur le Brexit (et ses suites), ainsi que le Référendum constitutionnel italien.
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