Au premier semestre 2015, en tant que Ministre des finances de Grèce, j’ai participé à treize réunions clés de l’Eurogroupe – avant que le gouvernement de SYRIZA, faisant fi du résultat du référendum du 5 juillet, ne capitule. Le résultat de cette capitulation fut ma démission immédiate et un plan d’austérité permanent jusque … 2060.
Dès le début, dès le premier Eurogroupe, il fut clair que les membres de la troïka dominant ces réunions étaient décidés à empêcher tout débat sérieux sur le « programme » pour la Grèce. J’arrivais déterminé à trouver un compromis honorable fondé sur des propositions techniques destinées à permettre au peuple grec de respirer de nouveau tout en minimisant le coût pour nos créanciers (ceux-là même qui dominaient l’Eurogroupe).
A contrario, les chefs de la troïka et leurs complices, les ministres des finances, firent obstruction tout en refusant de discuter mes propositions ou même de faire des contre-propositions qui fissent sens sur les plans financiers, politiques ou moraux. Encore et encore ils exigèrent la reddition de notre gouvernement à un programme néo-colonial d’austérité, programme néo-colonial dont ils confessaient, en privé, l’échec.
Après les trois premières réunions je réalisais, avec horreur, qu’aucun compte-rendu n’en était conservé. Mieux encore, l’absence d’ enregistrement des discussions permettait aux apparatchiks de la troïka de se vautrer dans une orgie de fuites et d’insinuations qui se propagèrent très rapidement.
C’était une opération de contre-vérité d’envergure : la troïka insinua que je venais aux réunions mal préparé, sans aucun bagage technique, et qui plus est que j’assomais mes collègues à coups de discours idéologiques ou théoriques hors de propos.
Ce fut ma première expérience réelle, très douloureuse, de la véritable signification des « fake news ».
Pour pouvoir informer précisément mon Premier Ministre et le Parlement de ce qui se passait lors de ces réunions interminables, ainsi que pour me défendre contre les distorsions et les mensonges purs et simples concernant mes interventions (ainsi que les mensonges de la troïka), j’ai commencé à enregistrer les débats sur mon téléphone.
Ne souhaitant pas la garder secrète, j’ai rendu publique cette information dans un entretien avec le New York Times – un avertissement aux propagateurs de « fake news » que je pourrais prouver qu’ils propagaient des mensonges. La Commission Européenne réagit avec une indignation feinte mais, curieusement, ils arrêtèrent leurs fuites.
Plus tard, je publiais mes mémoires (« Adults in the Room ») basées dans une large mesure sur ces enregistrements – pensant que cela mettait un terme à l’histoire.
Pourquoi vous ennuyer maintenant avec cette histoire vieille de 5 ans ?
Parce que, pour des raisons exposées ci-dessous, MeRA25-DiEM25 et moi avons décidé que c’était le bon moment pour rendre ces enregistrements publics.
Pourquoi maintenant ?
Après la publication d' »Adults in the room », je ne prévoyais pas de rendre les enregistrements bruts publics même si, pendant les trois années suivant la publication du livre, et tout particulièrement ici en Grèce, les « fake news » de 2015 était toujours colportées. Ayant distillé dans « Adults » l’essentiel, je me préparais à abandonner l’affaire.
Cependant, deux événements survenus la semaine dernière en Grèce m’ont fait changé d’avis :
1. le gouvernement de droite Nouvelle Démocratie a récemment rendu légal la vente de prêts immobiliers en contentieux à des fonds d’investissement ce qui va déclencher l’expulsion en masse de familles incapables de rembourser leurs emprunts. À partir du 1er mai une nouvelle vague de misère va engloutir notre population déjà défaite. Au Parlement, où j’ai pris la tête du groupe MeRA25 (le parti représentant DiEM25 en Grèce), le Premier Ministre et ses ministres ont tour à tour « expliqué » leur action en faisant reposer la responsabilité de leur volonté « liquidationniste » sur … moi et la manière dont j’avais « indisposé » mes collègues ministres lors des réunions de l’Eurogroupe de 2015 ;
2. mes anciens collègues au gouvernement (Syriza) ont récemment divulgué une rétrospective interne sur toutes leurs erreurs depuis 2014 et expliquant leur défaite aux élections générales de juillet 2019. Leur principale conclusion est que leur ministre des finances de l’époque – moi donc – a provoqué l’hostilité de ses collègues de l’Eurogroupe, a échoué à présenter des propositions raisonnables, s’est opposé, etc.. (i.e. Syriza reprenant ici le discours de la troïka)
Ces deux points m’ont montré clairement que les « fake news » concernant les réunions de l’Eurogroupe de 2015 servaient à couvrir un nouvel assaut contre les plus faibles de nos concitoyens. Pour cette raison, lors d’un débat parlementaire relatif à la « loi travail » impliquant les chefs de partis (vendredi dernier, 14 février), je me suis adressé directement à mes détracteurs:
« Vous avez passé 5 ans », leur ai-je dit, « à mentir sur ce qu’il s’est passé pendant ces réunions de l’Eurogroupe. Maintenant, vous vous appuyez sur ces mensonges pour faire passer de nouvelles lois d’austérité et de liquidation. Par conséquent, avant que les députés puissent voter en toute connaissance de cause, ils ont le droit et le devoir de savoir exactement ce qu’il s’est dit lors de ces réunions. »
Je lus alors une décision de la Haute Cour grecque fondant la légalité de tels enregistrements (pour autant qu’ils n’empiètaient pas sur la vie privée des participants et avaient été enregistrés dans le cadre d’activités officielles). Puis je pris une enveloppe contenant une clé USB avec tous les enregistrements en ma possession et la remis au secrétariat du Parlement indiquant que je laissais l’initiative au « Speaker » du Parlement de décider comment il souhaitait mettre ce matériau à disposition des parlementaires et du public.
Peu après, un officier de police ramenait la clé USB à mon bureau, suivant les ordres du « Speaker » qui estimait mon geste « inacceptable ». Quelques heures plus tard, j’annonçais publiquement que DiEM25-MeRA25, au vu de la position du « Speaker », rendrait public ce matériau.
« Vous avez raconté des histoires sur ce qu’il s’est passé pendant ces réunions, comme si vous saviez exactement ce qu’il s’était dit, mais maintenant vous paniquez à l’idée de découvrir ce qu’il s’est réellement dit » ajoutions nous.
Quelle importance ont ces enregistrements en dehors de la Grèce ?
Ces enregistrements/transcriptions sont fascinants à lire/écouter pour tous ceux qui veulent mieux comprendre par eux-mêmes le processus de décision de l’UE:
– les Européistes ont beaucoup à apprendre sur la manière dont l’Euroscepticisme, le Brexit en étant une démonstration, a été aidé par le processus de prise de décision inacceptable qui est au coeur de l’UE. Retenir ces leçons est un pré-requis pour réformer, ou mieux transformer, l’UE ;
– les Eurosceptiques, malheureusement, trouveront dans ces enregistrements matière à justifier leur attitude ;
– les étudiants en Relations Internationales, Affaires Européennes, Finance et Économie découvrirons avec quelle légèreté des décisions cruciales pour l’économie mondiale sont prises ;
– et enfin, parce qu’une démocratie sans transparence est vouée à l’échec, la publication de ces fichiers est un service, minime mais significatif, rendu aux démocrates du monde entier.
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