Si j’étais une personne transgenre et qu’une bande de gauchistes osait me faire la leçon en disant que l’exploitation des ouvriers d’usine par les capitalistes est plus importante que ma lutte quotidienne pour fonctionner en tant que personne transgenre, je leur dirais d’aller se faire voir. Personne n’a le droit de dire à ceux qui sont blessés, terrifiés, exploités ou opprimés que leur douleur, leur peur ou leur persécution est politiquement moins importante qu’un autre type de répression.
La discrimination, il ne faut pas l’oublier, divise et multiplie. Elle le fait automatiquement parce que, ce faisant, elle gagne en stabilité évolutive. L’exploitation d’un groupe est renforcée lorsque ses membres exploités (par exemple les ouvriers) ont le sentiment qu’ils ne sont pas au bas de l’échelle mais qu’il existe un sous-ensemble de leur groupe (par exemple les femmes d’ouvriers) qu’ils peuvent exploiter. Ce schéma s’enracine encore davantage lorsque le sous-ensemble du groupe exploité est lui-même divisé (par exemple, entre les femmes d’ouvriers noires et blanches). Et ainsi de suite.
D’autres modèles de discrimination peuvent émerger de différences tout à fait arbitraires qui, selon la logique, devraient être sans importance. Les écoliers gauchers, par exemple, se sont retrouvés pendant des siècles dans des rôles sociaux inférieurs, souvent victimes d’une discrimination flagrante – à tel point que leur vie est marquée jusqu’à un âge avancé. Dans des expériences de laboratoire que j’ai menées dans les années 1990, l’attribution d’une couleur aléatoire à des participants par ailleurs identiques a généré une discrimination importante en quelques minutes, les détenteurs d’une des couleurs apparaissant spontanément comme le groupe dominant. (Voir ici pour une discussion générale et ici pour l’article universitaire pertinent).
En bref, dans chaque société jusqu’à présent, la discrimination s’installe en inventant constamment de nouvelles divisions et de nouvelles possibilités d’oppression. Il est même ridicule d’imaginer qu’il existe une mesure objective permettant de comparer la douleur ou le mérite des différents groupes. Tout aussi ridicule est toute tentative de comparer votre situation difficile à celle de personnes d’un autre groupe exposées à une oppression différente. Enfin, c’est à chaque personne opprimée différemment de décider contre quel type d’oppression elle doit se révolter et comment elle doit se battre pour son avenir. Le vieil argument de la gauche, que je me souviens avoir rencontré lorsque j’étais adolescent, selon lequel il faut d’abord construire le socialisme car ensuite toutes les autres oppressions disparaîtront, n’est pas seulement stupide – il est oppressif.
Solidarité
Prenons le cas extrême d’un étudiant noir de classe moyenne à Harvard. S’il est significatif, et statistiquement exact, de dire qu’il est aujourd’hui plus facile pour un Noir d’entrer à Harvard que pour un pauvre, il est à la fois inutile et erroné de comparer et d’opposer les deux types d’expérience. Qui sommes-nous pour dire que la terreur de l’étudiant noir de classe moyenne de Harvard, arrêté par la police et soumis à l’ignominie réservée aux Noirs, est plus ou moins écrasante que le désespoir d’un Blanc pauvre qui n’a pas été admis à Harvard mais qui fréquente un centre universitaire de premier cycle et travaille dans un entrepôt Amazon pour joindre les deux bouts ? Dès que nous nous enlisons dans de telles comparaisons, nous nous y perdons. Nous perdons le fil que nous devrions suivre, à savoir la construction de la solidarité entre les personnes aux prises avec différents types de douleur, de souffrance et de peur.
Le pouvoir a la capacité d’unir, de devenir abstrait et homogène en proportion de son caractère exorbitant. C’est pourquoi à Davos, il y a très peu de discrimination. Noirs et Blancs, Américains et Africains, cadres d’entreprise masculins et féminins s’unissent avec une sérénité remarquable. Ils parlent d’une seule voix. Ils ne s’opposent jamais ni ne se brouillent jamais. Si vous les pressez de questions sur le rôle des produits dérivés structurés, des banques centrales ou du capital-investissement, ils vous donneront tous plus ou moins la même réponse.
A l’inverse, ceux qui n’ont pas de pouvoir, ceux qui sont exploités et ceux qui souffrent ont tendance à se désunir, ce qui les rend encore plus impuissants. Chaque groupe, qui nourrit sa douleur particulière, se replie sur lui-même et se sent menacé à la fois par l’oligarchie et par d’autres groupes de personnes privées de pouvoir. C’est ainsi que les gens pauvres et découragés sont “persuadés” d’utiliser leur liberté formelle (par exemple, lors des élections) pour maintenir les riches au pouvoir. Seule la solidarité à travers l’archipel en constante évolution des non-privilégiés peut changer cela et défier l’oligarchie-sans-frontières.
DiEM25
« Nous venons de toutes les régions du continent, et nous sommes unis par nos différences de cultures, de langues, d’ accents, d’affiliations politiques, d’idéologies, de couleurs de peau, d’identités sexuelles, de confessions et de conceptions de la société idéale. »
Lorsque nous nous sommes retrouvés au théâtre Volksbühne pour inaugurer DiEM25 le 9 février 2016, nous étions en effet arrivés de toute l’Europe, dans la différence mais aussi dans la solidarité.
Nous avons célébré notre rencontre en nous engageant à “traiter les non-Européens comme des fins en soi”, à rester “…ouverts aux idées, aux personnes et aux inspirations venues du monde entier, comprenant que les barrières et les frontières sont des signes de faiblesse qui répandent l’insécurité au nom de la sécurité » ; et à lutter ensemble pour une « …Europe libérée où le privilège, le préjugé, la misère et la menace de la violence s’estompent, si bien que les Européens seront moins voués à des rôles stéréotypés dès la naissance, jouiront de chances égales de développer leurs potentialités et seront libres de choisir davantage leurs partenaires dans la vie, au travail et dans la société. »
C’était DiEM25 le jour de sa naissance, il y a cinq ans. C’est aussi DiEM25 aujourd’hui. A l’heure où les divisions (également connues sous le nom de guerres culturelles) font des ravages parmi les progressistes qui devraient être mieux informés, nous avons l’opportunité d’utiliser nos différences comme des blocs de construction de la seule chose qui peut faire face aux oppressions qui divisent et se multiplient, se répandant comme des feux de brousse dans notre monde post-Covid-19 : La solidarité !
Pour construire la solidarité, DiEM25 travaille constamment à un plan commun contre chaque oppression. Un tel plan commun est-il possible étant donné la variété des oppressions ? Bien sûr qu’il l’est. La prospérité partagée verte est techniquement possible et constitue une excellente base pour renverser le cours des oppressions multiples et révéler un terrain sur lequel des personnes différentes peuvent mener des vies également florissantes. Cependant, c’est une chose de dire que c’est faisable et une autre de le réaliser. Pour cela, nous avons besoin de campagnes communes.
Et c’est là que les progressistes, et la gauche en particulier, échouent si gravement aujourd’hui : D’une part, nous avons les divisions traditionnelles dues aux luttes de pouvoir de partis bureaucratiques basés sur les Etats-nations. Et d’autre part, nous avons la tendance des différents groupes à séparer leur lutte de celle des autres groupes. Connue également sous le nom de politique identitaire, cette tendance est le contraire de la solidarité – une aubaine pour les hommes et les femmes de Davos dont le pouvoir est ainsi garanti.
C’est pourquoi DiEM25 est si important : non seulement c’est le seul mouvement politique européen transnational (avec un manifeste paneuropéen, une série de politiques détaillées pour toute l’Europe, un groupe de travail unique sur le féminisme, la diversité et les handicaps, etc.), mais c’est aussi la base de l’Internationale Progressiste qui, au cours des huit derniers mois, a montré ce que la solidarité internationale signifie en pratique.
Par notre campagne Make Amazon Pay, (Faisons payer Amazon), le Debt Justice Collective (Collectif pour la Justice en matière de Dettes), grâce à nos observateurs électoraux en Amérique latine, à la grève des agriculteurs en Inde, etc. nous avons démontré la seule chose qui compte : Pour libérer tout le monde, nous devons agir globalement contre chaque type d’oppression, sans privilégier un type de souffrance par rapport à un autre, en transformant nos identités souveraines et multiples en un tsunami de solidarité humaniste.
Carpe DiEM25 !
Les vues et opinions exprimées ici sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement les politiques ou positions officielles de DiEM25.
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