Julian Assange vient d’appeler. Pour parler de l’effet de la pandémie sur le capitalisme et la politique !

Julian m’a appelé un peu plus tôt, à 14h22, heure de Londres, de la prison de haute sécurité de Belmarsh, bien sûr.

Ce n’est pas la première fois, mais, comme vous pouvez l’imaginer, chaque fois que j’entends sa voix, je me sens honoré et ému qu’il compose mon numéro quand il a si peu d’occasions de passer des appels.

« Je veux un regard sur l’évolution du monde — je n’en ai aucun ici », a-t-il dit. Ce qui, bien sûr, a fait peser sur moi un poids considérable pour articuler des réflexions sur le sort du capitalisme pendant cette pandémie et les répercussions de tout cela sur la politique, la géopolitique, etc. Le fait de savoir que les autorités pénitentiaires de Sa Majesté pouvaient interrompre notre discussion à tout moment a rendu la tâche plus difficile.

Dans une modeste tentative de peindre un tableau pour lui sur une toile aussi large que possible, j’ai partagé avec Julian ma pensée principale des dernières semaines :

Jamais auparavant le monde de l’argent (c’est-à-dire les marchés monétaires, qui comprennent les marchés boursiers) n’a été aussi découplé du monde des personnes réelles, des choses réelles — de l’économie réelle.

Nous regardons, impressionnés, le PIB, les revenus personnels, les salaires, les revenus des entreprises, petites et grandes, s’effondrer alors que le marché boursier reste relativement indemne. L’autre jour, Hertz a déclaré faillite. Lorsqu’une entreprise fait cela, le cours de son action passe à zéro. Pas maintenant. En fait, Hertz est sur le point d’émettre pour 1 milliard de dollars de nouvelles actions. Pourquoi quelqu’un achèterait-il des actions d’une société officiellement en faillite ? La réponse est : parce que les banques centrales impriment des montagnes d’argent et le donnent presque gratuitement aux financiers pour acheter n’importe quelle camelote flottant autour de la Bourse.

« Zombification complète des sociétés », c’est comme ça que je l’ai formulé à Julian. Julian a fait remarquer que cela prouve que les gouvernements et les banques centrales peuvent maintenir les entreprises à flot, même lorsqu’elles ne vendent presque rien sur le marché. J’étais d’accord. Mais, j’ai également souligné une énigme majeure à laquelle le capitalisme fait face pour la première fois. C’est ceci :

L’impression de monnaie par la banque centrale maintient les prix des actifs très élevés tandis que le prix des « choses » et des salaires, baissent. Cette déconnexion peut continuer à croître. Mais, quand Hertz, British Airways etc. peuvent survivre de cette manière, ils n’ont aucune raison de ne pas licencier la moitié de la main-d’œuvre et de réduire les salaires de l’autre moitié. Cela crée plus de déflation/dépression dans l’économie réelle. Ce qui signifie que les banques centrales doivent imprimer de plus en plus pour maintenir les prix des actifs et des actions à un niveau élevé. À un moment donné, les masses là-bas se rebelleront et les gouvernements seront sous pression pour détourner certains revenus vers eux. Mais cela va dégonfler les prix des actifs. À ce moment-là, parce que ces actifs sont utilisés par les sociétés comme garantie pour tous les prêts qu’elles prennent pour rester à flot, elles perdront l’accès à la liquidité. Une série de faillites d’entreprises commencera dans des circonstances de stagnation. « Je ne pense pas que le capitalisme puisse facilement survivre à ce casse-tête, du moins pas sans d’énormes conflits sociaux et politiques », ai-je conclu.

Julian y réfléchit un instant et me demanda : « Quelle est l’importance de la consommation pour le capitalisme ? Quel pourcentage du PIB est en jeu si la consommation ne se redresse pas ? Les entreprises ont-elles besoin de travailleurs ou de clients ? » J’ai répondu qu’elle était assez importante pour rendre ce dilemme réel. Oui, les banques centrales et les robots peuvent maintenir les entreprises sans clients ni travailleurs. Mais les robots ne peuvent pas acheter ce qu’ils produisent. Donc, ce n’est pas un équilibre stable. Les pertes de revenus s’accéléreront, générant ainsi un mécontentement décisif.

Julian a ensuite dit quelque chose comme : Cela profitera à Trump qui sait comment se nourrir de la colère des multitudes envers les élites instruites de la classe moyenne supérieure. J’étais d’accord, disant que DiEM25 avait averti depuis 2016 que le socialisme pour l’oligarchie et l’austérité pour la masse des gens finirait par nourrir l’extrême-droite raciste. Nous vivons à nouveau ce qui s’est passé dans les années 1920 en Italie avec la montée de Mussolini.

Julian était entièrement d’accord et a dit : Oui, de la même façon, il y a une alliance entre les gens riches et la classe ouvrière mécontente. Il a ensuite ajouté que la plupart des prisonniers et des agents pénitentiaires de Belmarsh soutiennent… Trump. À ce moment-là, la connexion a été coupée.

Notre conversation a duré 9’47 ». C’était plus substantiel, et bien sûr émouvant, que n’importe quelle conversation que j’ai eue depuis un certain temps.

Lire la suite des réflexions de Yanis Varoufakis sur son blog personnel.

 

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