La crise de la politique centriste

Les membres de notre mouvement comparent souvent la situation politique actuelle à celle des années 30. Yanis Varoufakis a souvent fait ce parallèle, en soulignant le lien historique entre la montée des partis d’extrême droite et le taux de chômage élevé dans toute la zone euro.
« La société est fragmentée, le fascisme et le racisme sont en hausse », a-t-il prévenu en mai 2019 sur Deutschlandfunk Nova.
En fait, il y a exactement cent ans – en 1920 – s’est produit un événement qui nous paraîtra à la fois familier et troublant : le 26 janvier 1920, Matthias Erzberger, ministre des finances du Reich allemand, a été assassiné par un jeune officier convaincu par la propagande haineuse de droite. Il a survécu de justesse.
L’assassin Oltwig von Hirschfeld s’en est tiré avec 18 mois de prison. La presse conservatrice de droite n’avait alors plus de limites. Au même moment, la famille Hohenzollern se battait avec l’État pour défendre ses biens, notamment face aux politiques de plafonnement des loyers (mesure du programme du SPD de l’époque), qui tenait les propriétaires en laisse.
Tout cela ne signifie pas nécessairement que l’histoire se répète aujourd’hui « comme une triste farce », mais il est toujours intéressant de noter que notre présent n’est pas aussi moderne, post-idéologique et dépolitisé que certains le prétendent, et de constater que le passé est tout sauf dépassé.
Après que l’homme politique libéral Kemmerich, du parti libéral-centriste allemand FDP, a été élu Premier ministre de Thuringe le 5 février 2020, avec l’aide du parti d’extrême droite AfD, les médias de l’establishment se sont drapés d’indignation :
« L’histoire retiendra le 5 février 2020 comme le jour où l’AfD a aidé, pour la première fois, un homme politique à prendre le pouvoir dans un parlement allemand », déclare Matthias Quent, chercheur spécialiste de l’extrême droite, dans une interview.
Guy Verhofstadt, qui a la peau dure lorsqu’il s’agit d’apporter confiance et soutien entre les membres de sa faction ALDE et le parti néo-franquiste VOX en Espagne, a tout dévoilé sur Twitter :

Guy Verhofstadt tweet

« Ce qui s’est passé en Thuringe est absolument inacceptable. Ma réponse ? Pas en notre nom ! »


Les faits sont éloquents : au lieu de montrer qu’un gouvernement soutenu par l’extrême droite n’est pas une option viable, les libéraux et les conservateurs de la région de Thuringe ont au contraire accepté de recevoir ce soutien. L’AfD se trouve donc en position de force : le parti montre à ses électeurs qu’il est prêt à « assumer des responsabilités », tout en continuant à marquer des points grâce à une politique fermement ancrée dans l’opposition.
Au niveau national, l’ensemble du monde politique a fait part de son dégoût. Même des conservateurs aussi convaincus que Markus Söder (CSU) ou Paul Ziemiak (CDU) ont senti qu’il était peut-être trop tôt pour une manœuvre politique aussi dangereuse.
Le journaliste et écrivain allemand Georg Diez ne veut cependant pas laisser les libéraux et les conservateurs allemands s’en tirer à si bon compte. Sur Twitter, il a tiré la conclusion suivante : « Les personnalités publiques et politiques, qu’ils soient conservateurs ou même libéraux, qui jouent maintenant au jeu des reproches, ce sont ceux-là mêmes qui ont contribué à créer cette situation… »
La montée de l’extrême droite s’observe dans toute l’Europe et est liée à une peur croissante de l’avenir. Une peur que les médias attisent. Le changement climatique remet en question notre mode de vie. Le pouvoir des entreprises internationales et du monde de la finance est devenu bien trop grand dans notre système économique mondialisé. Et nos démocraties nationales ne semblent pas être à la hauteur de ces défis. Les craintes qui en découlent profitent à l’extrême droite.
La classe politique centriste et libérale, n’offre aucun recours pour faire face à ces zombies idéologiques, au-delà d’attitudes moralisatrices ou de vagues sursauts lorsque survient un assassinat politique, une attaque sur une synagogue, ou la découverte d’une cache d’arme chez un militant fasciste.
Mais très vite, les choses reprennent leur cours normal. Après tout, cette classe politique n’est pas prête à changer quoi que ce soit et s’en tient à un style anachronique qui se situe au-delà du politique. La gauche ne vaut pas mieux que la droite, soutient-elle, en citant la théorie du fer à cheval – il n’y a que deux forces majeures : les modérés et les extrémistes (que ce soit à gauche ou à droite).
Le récit néo-libéral de la « fin de l’histoire », le slogan « Il n’y a pas d’alternative », le centrisme libéral, tout cela nous a fait oublier que la politique est un champ de bataille où s’affrontent des groupes d’intérêts, et non un moyen d’imposer des « décisions désagréables, mais objectivement correctes ».
Nous devons enterrer la notion de centre politique, car de moins en moins de personnes ont le sentiment d’appartenir à cette construction, intrinsèquement vague. Il est facile pour l’AfD de se moquer du reste du monde politique, et de cette « Lügenpresse » (terme allemand désignant les prétendues fausses informations émanant de l’État) qui met l’accent sur la responsabilité et les libertés individuelles. Les électeurs de droite ne sont pas les seuls à soupçonner qu’il existe un fossé profond dans la société – un abîme dont personne ne veut vraiment parler.
Comme l’écrit Chantal Mouffe dans son livre « Pour un populisme de gauche », nous devons réapprendre à percevoir la politique comme un champ de bataille où s’affrontent les groupes d’intérêts. Cela ne veut pas dire que nous sommes confrontés à des ennemis, mais à des adversaires. Nous avons besoin de cette nouvelle phase de la démocratie, dans laquelle on ne crierait pas « à la terreur socialiste » lorsqu’on parle de plafonnement des loyers, de coopératives, de Théorie Monétaire Moderne ou de santé publique.
Nous avons besoin d’un nouveau projet démocratique, un projet qui offre des solutions aux défis titanesques de notre époque. Un projet qui revitalise notre démocratie et qui œuvre pour le changement, aussi urgent que nécessaire, dans les parlements, dans nos rues, dans nos foyers. Nous avons besoin d’un récit positif sur les migrations ; d’un débat sur quel monde est possible après une croissance infinie ; d’idées pour faire vivre la démocratie sur le lieu de travail ; d’un revenu universel – rendu possible à travers une appropriation des ressources par tous – et d’une vision pour atteindre la souveraineté technologique.
DiEM25 défend l’un de ces projets. Il présente des idées progressistes, positives, et porteur d’avenir. Nous ouvrons une nouvelle voie, dans laquelle il est possible de relier les différents niveaux.
Nous offrons cette perspective en tant que mouvement citoyen présent avant tout dans les rues, notamment le 28 mars au Luxembourg pour une mobilisation contre l’évasion et le contournement fiscaux des riches et des puissants. Nous la défendons en participant aux élections, locales ou parlementaires, à travers nos ailes électorales – MeRA25 en Grèce et Demokratie in Europa en Allemagne. Et nous lui donnons vie en offrant un sujet de conversation qui résonne jusque dans les foyers : un projet politique passionnant, qui mérite qu’on le rejoigne.
Article de Johannes Fehr (membre du Conseil d’Administration de Demokratie in Europa – DiEM25) et David Schwertgen (Collectif National DiEM25 Allemagne)
Crédits Photo (C): Signs by Oliver Groß (CC-BY-NC-ND 2.0)

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