Prêt Etudiant : cet emprunt qui n’intéresse pas Bercy

Par Thomas Isnard, membre du DSC Lyon 1

Les crises agissent toujours comme le révélateur des vraies priorités pour un gouvernement. L’Etat a majoritairement tourné le volet économique de sa réponse à la catastrophe sanitaire Covid-19 en faveur des entreprises. On a ainsi entendu davantage parler d’aides, à ces dernières et leurs salariés, qu’aux citoyens. La conséquence de ce prisme résulte en un renforcement des inégalités, déjà massives, face à l’emploi et entre les salariés. Cela accentue une cassure bien connue de la société française entre ceux déjà en emploi (les insiders, dont les « happy few » sont aujourd’hui au télétravail) et ceux à l’extérieur du marché du travail (les outsiders d’un système particulièrement rigide et devenu pauvre en opportunités).

A ce titre, les derniers chiffres de l’emploi en France sont particulièrement éloquents, +7% de demandeurs d’emploi en mars 2020, un record, et cela en parallèle avec un dispositif de chômage partiel parmi les plus généreux du monde. Mais cela est effectivement sans rapport. La raison majeure de ces chiffres alarmants réside dans le très faible nombre de retours sur le marché du travail. Si, et comme il est probable, la conjoncture économique reste très dégradée dans les mois à venir, il deviendra primordial de calibrer une autre réponse économique, indépendante de la situation actuelle des individus face au travail. Il faudra en priorité sauver les individus de la faillite, et non certaines entreprises probablement destinées, malheureusement, à continuer de subir une baisse de leur activité en raison de la situation internationale et de la nécessité de repenser les secteurs vraiment capitaux, dans le cadre d’une « reconstruction écologique ». Il faudra ensuite encourager un retour à l’activité, indépendamment de la réalité du marché du travail traditionnel, notamment en mettant en place un système de revenus pour favoriser l’engagement social et collectif, soit dans la lutte contre le Covid-19 et ses conséquences, soit en faveur de l’environnement (comme on a déjà pu le voir avec l’Agriculture et les nombreux volontaires).

On arrive ainsi à ce paradoxe aujourd’hui, où les actions du gouvernement sont toutes centrées sur une reprise rapide, forte, « à l’identique », alors que sa communication vante la nécessaire émergence du « monde d’après ». Ici, il faut quand même rappeler que dans le monde d’avant : toute croissance annuelle supérieure à 1% était accueillie comme un exploit, alors que 80% de ses fruits étaient captés par une infime minorité de la population française. Ces actes en faveur d’un avant, probablement impossible à ressusciter, s’accompagnent donc d’un discours nouveau sur « la fragilité de la mondialisation », par Bruno Le Maire, ou encore sur la nécessité de se « réinventer », comme déclaré par M. Macron (on reconnait la patte de Sarkozy, qui se « réinventait » volontiers à longueur de candidatures). Le gouvernement refuse encore de reconnaître l’inéluctabilité de pertes économiques plus structurelles (ce que l’Europe non plus n’a pas voulu faire en 2008), mais pouvant néanmoins être transformées en opportunité, à condition de les faire porter par les personnes qui en ont largement la capacité, de protéger efficacement les plus fragiles durant cette période, et de se doter d’une stratégie à long terme: renforçant la cohésion sociale et favorisant la transition énergétique.

Elément clé de la réponse gouvernementale à la crise, les grandes banques sont chargées d’appliquer les directives qu’elles reçoivent de l’Elysée. L’Etat finance, les banques exécutent. Si cela pouvait sembler inévitable à court-terme, on ne peut que ressentir un certain malaise : à ce nouveau capitalisme qui se met en place (en fait depuis la crise bancaire de 2008) où l’action publique vise à ce que les acteurs privés encourent de moins en moins de risque de pertes en capital (jusqu’au point de ne plus jamais pouvoir faire faillite). On perd ainsi le versant dynamisme/innovation du capitalisme, et on rajoute la socialisation systématique des pertes (alors que les gains, quand tout va bien, restent majoritairement privés). Cette combinaison explique, en grande partie, l’importante croissance de la dette des Etats européens depuis 2007. On ne sait ainsi plus très bien si ces institutions financières jouent le jeu de l’Etat, de leurs actionnaires ou de leurs clients, les citoyens. Une chose semble sûre :  ces intérêts ne sont pas (totalement) alignés.

Parmi les instructions gouvernementales données aux banques, la grande majorité porte sur la façon idoine de se comporter avec une entreprise qui rencontre des difficultés de trésorerie. Mais pas grand-chose sur la façon de se comporter avec le client lambda, qui a sûrement un prêt à la consommation (vanté à longueur de publicité ces dernières années) ou immobilier (seul moyen d’acheter dans ce pays). Il faut dire que le client à petit patrimoine financier n’a jamais été le souci majeur de nos banques ; mais bon, maintenant que l’Etat est massivement engagé dans l’économie, lui pourrait prétendre s’en soucier.

Parmi ces sujets qui ne les intéressent pas se trouvent celui du prêt étudiant, bien connu des universitaires modestes, devenus jeunes actifs, et qui payent encore les mensualités d’un prêt contracté des années plus tôt pour combler leur désir d’étudier et  de trouver un emploi décent. Au niveau de l’Etat, très peu d’annonces ont été faites à destination des étudiants, laissant donc la pratique de ces prêts à  la discrétion des banques. BNP Paribas semble être la plus avancée sur le sujet : autorisant une suspension des échéances jusqu’à six mois, sans frais (enfin il faudrait voir s’il n’y a pas des conditions, le poids du dossier pour faire la demande, et si la suspension est immédiatement mise en place, car beaucoup d’étudiants et jeunes actifs font face à une crise de liquidités et sont dans l’urgence).

En France, l’emprunt étudiant est en hausse constante, ainsi que les montants empruntés et les durées de remboursement, il concernerait plus de 10% de la population étudiante, selon l’Observatoire National de la Vie Étudiante. Cette réalité masque mal les importantes inégalités de notre système d’études supérieures à deux vitesses : les grandes écoles d’un côté et les universités de l’autre. Pour une école de commerce, il est courant qu’un étudiant, issu de milieu modeste, doive emprunter jusqu’à 50 000 euros pour financer son cursus. En fait, les frais de scolarité ont surtout explosé pour ces écoles, et pourraient continuer exponentiellement ainsi, avec un marché de l’emploi qui compte 20% de chômeurs parmi les jeunes, alors même que le niveau intellectuel n’y est pourtant pas supérieur à l’université. La plupart de ces emprunts sont aussi contractés par les étudiants afin de pourvoir à leurs dépenses de vie courante (logement, transports et santé), elles aussi en augmentation, et obtenir ainsi des conditions décentes et propices à la réussite de leurs études.

Pour le gouvernement il s’agit de se pencher sérieusement sur ce sujet qui englobe toutes les réalités du monde étudiant, afin de pouvoir proposer un vrai programme aux étudiants et jeunes actifs, alors que leurs perspectives futures s’assombrissent. A court terme, il faut donc un moratoire sur les mensualités des prêts étudiants, pour tous ceux qui en feront la demande, afin qu’ils puissent aborder les incertitudes du déconfinement sur des bases sereines. Il faut également envisager la suppression, pure et simple, des remboursements des emprunts étudiants (rachat par l’Etat) et allouer ces fonds aux nouveaux étudiants en situation difficile, dès la rentrée prochaine, via le mécanisme des bourses CROUS ou d’aides directes et ciblées. A plus long terme, il s’agira d’avoir une véritable vision stratégique sur un système éducatif universitaire moderne, et ce alors que l’activité économique va probablement fortement évoluer, en lien aussi avec les incertitudes sur le climat. En cela, les bases sur lesquelles ont été pris les engagements bancaires passés des étudiants se trouvent sérieusement ébranlées et doivent être reconsidérées. Un pays qui se soucie davantage de ses entreprises que de ses étudiants et jeunes actifs, manque gravement à son devoir envers ces derniers et compromet fortement la réussite à long terme de ces premières. Il finit en général sans les deux. La première richesse d’un pays est celle qui réside dans une jeunesse à haut niveau de formation (et partageant une ambition et des valeurs communes). A ce titre, l’émigration massive des jeunes Espagnols, Grecs et Italiens pour trouver du travail cette dernière décennie, doit servir d’avertissement à la France. L’objectif principal de tout plan d’aide et de relance économique doit être de garantir des opportunités stimulantes pour ses futures générations, ou au minimum de ne pas les compromettre.

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