La doctrine impérialiste libérale de l’Amérique a été responsable d’un carnage effroyable dans des endroits comme le Vietnam, l’Irak et l’Amérique centrale. Mais l’Amérique a également produit une doctrine anti-impérialiste libérale qui reste ancrée dans une série télévisée qui captive le public américain depuis 1966.
ATHENES – Le 9 février 1967, quelques heures après que l’armée de l’air américaine eût pilonné le port de Haiphong et plusieurs aérodromes vietnamiens, la télévision NBC a diffusé un épisode politiquement important de Star Trek. Intitulé « The Return of the Archons » (“Le Retour des Archontes”) (1968), l’épisode marque les débuts de la Première Directive – la loi suprême de la Fédération unie des Planètes et de sa Flotte spatiale imaginaires, qui interdit toute interférence volontaire avec les peuples, civilisations et cultures étrangers. Conçue en 1966, alors que le président Lyndon B. Johnson envoyait 100.000 soldats supplémentaires au Vietnam, la Première Directive constituait un défi idéologique direct, quoique bien camouflé, à ce que préparait le gouvernement américain.
Restée centrale dans la série Star Trek jusqu’à ce jour, la Première Directive est encore plus pertinente aujourd’hui. Les aventures militaires impliquent toujours une variété de questions distinctes, ce qui rend difficile un débat rationnel sur leurs mérites. Par exemple, les invasions américaines du Vietnam ou de l’Afghanistan étaient-elles motivées par de bonnes intentions, qu’il s’agisse de contenir le totalitarisme ou de sauver les femmes des islamistes radicaux ? Ou ces intentions ont-elles été invoquées pour fournir une couverture politique à des motifs économiques ou stratégiques cyniques ? Ont-ils eu tort parce que les forces américaines ont été vaincues ? Ou auraient-ils eu tort même en cas de victoire ?
La beauté de la Première Directive est qu’elle court-circuite ce dédale de confusion et d’imposture: les motivations de l’envahisseur, bonnes ou mauvaises, ne comptent pas. La Première Directive interdit le déploiement d’une technologie supérieure (militaire ou autre) dans le but d’interférer avec toute communauté, tout peuple ou toute espèce consciente. Elle est, en fait, assez drastique: le personnel de la Flotte spatiale doit la respecter même si cela lui coûte la vie.
Selon les paroles du capitaine James T. Kirk, « le serment le plus solennel d’un capitaine de vaisseau spatial est qu’il donnera sa vie, et même celles de tout son équipage, plutôt que de violer la Première Directive ». Ce à quoi son successeur, le capitaine Jean-Luc Picard, ajoute : « La Première Directive n’est pas seulement un ensemble de règles, c’est une philosophie… et une philosophie très pertinente. L’histoire a prouvé à maintes reprises qu’à chaque fois que l’humanité interfère… aussi bien intentionnée soit-elle, les résultats sont invariablement désastreux. »
L’intégration d’une telle philosophie dans une série télévisée américaine grand public, et au milieu de la plus grande escalade de la guerre du Vietnam, était un geste audacieux. Il ne fait guère de doute qu’il s’agissait d’une critique intentionnelle de la politique étrangère américaine. Dans l’épisode « Patterns of Force » (“Modèles de Force”) (1968), les scénaristes de Star Trek ont imaginé qu’un ingénieur social de la Fédération tente d’aider une planète primitive à se développer en inculquant à ses habitants une attitude humaniste tout en construisant un État avec l’efficacité dont seul un régime autoritaire est capable. Son intervention bien intentionnée s’effondre rapidement, car les modèles d’autorité qu’il a introduits engendrent un racisme institutionnalisé, et l’humanisme qu’il tente de cultiver est écrasé par un régime qui prône le génocide.
Les auteurs de Star Trek n’étaient pas des moralistes naïfs ni des isolationnistes. Ils ont compris que, comme pour tous les impératifs moraux rigides, leur Première Directive ne pouvait pas être appliquée purement et simplement. Le simple fait d’arriver dans un pays étranger, ou sur une autre planète, signifiait interférer d’une manière ou d’une autre. Bien que les officiers de la Flotte spatiale se soient montrés prêts à mourir plutôt que de violer la Première Directive, dans de nombreuses situations, leur indignation morale les amène à la tourner, voire à l’ignorer. Dans « A Private Little War » ( “Une petite Guerre discrète” ) (1968), ils sont confrontés à une guerre civile planétaire où l’une des deux factions a été approvisionnée en armes perfectionnées par l’ennemi juré de la Fédération, les Klingons. Comment pourraient-ils respecter la Première Directive alors que la superpuissance concurrente ne le fait pas ?
Décidant que la meilleure façon de respecter la Première Directive est de la violer, ils tentent de mettre le champ de bataille à égalité en fournissant des armes presque identiques à l’autre faction. Le résultat est une course aux armements hors de contrôle et, chose rare, tout finit mal.
Mais toutes les violations de la Première Directive ne conduisent pas au désastre. « A Taste of Armageddon » (Un avant-goût d’Armageddon”) (1967) dépeint une guerre bizarre entre deux planètes dont les dirigeants s’étaient mis d’accord pour simuler leurs batailles sur un ordinateur dans le but d’arrêter la destruction sans fin des infrastructures. Mais les personnes « tuées » dans la simulation informatique sont ensuite emmenées dans des chambres de la mort. Convaincu qu’il est préférable de risquer un retour à une guerre totale plutôt que de laisser se poursuivre les horribles meurtres, simulés et réels, Kirk viole la Première Directive en faisant exploser les chambres de la mort.
Néanmoins, les scénaristes se sont donné beaucoup de mal dans de tels cas pour montrer qu’on peut aboutir à de bonnes conséquences malgré des violations de la Première Directive, et non pas à cause d’elles. Ou, plus précisément, c’est la croyance, gravée dans l’esprit et l’âme du personnel de la Flotte sidérale, que la Première Directive est bonne et appropriée, qui rend possible que ses violations permettent parfois de trouver des solutions. De même, les soldats occidentaux peuvent occasionnellement faire du bien dans un pays lointain déchiré par la guerre, précisément parce qu’ils ne croient pas qu’il soit raisonnable d’essayer de construire une civilisation cohérente sous la menace d’une arme étrangère.
La Première Directive de Star Trek fait appel à la culture populaire pour mettre en évidence l’inutilité de savoir si les bonnes intentions affichées pour justifier les aventures impérialistes sont réelles ou fausses. Elle met brillamment en scène la manière dont les invasions high-tech planifiées d’en haut pour sauver de lui-même un peuple « inférieur » ne peuvent que conduire inexorablement aux mensonges, aux crimes et aux camouflages nauséabonds du type de ceux que l’on trouve dans les Papiers du Pentagone ou Wikileaks.
La Première Directive est aussi un rappel nécessaire et utile des contradictions de la société américaine – en particulier, comment elle a produit non seulement la doctrine impérialiste libérale responsable de tant de carnage dans des endroits comme le Vietnam, l’Irak et l’Afghanistan, mais aussi une doctrine anti-impérialiste libérale qui reste ancrée dans une série télévisée qui captive le public américain depuis plus longtemps qu’a duré la vie de la plupart des Américains.
Cet article a été initialement publié par Project Syndicate. Cliquez ici pour y accéder.
Paramount PicturesSunset BoulevardCorbis via Getty Images
Voulez-vous être informés des actions de DiEM25 ? Enregistrez-vous ici!