« Kill the Bill » : Une démocratie en déclin

La semaine dernière, une série de manifestations ont eu lieu dans tout le Royaume-Uni à l’initiative du groupe féministe Sisters Uncut, largement soutenu par une grande partie de la branche progressiste et libérale du pays. Le mouvement, baptisé « Kill the Bill » [« Enterrez le projet de loi »], est né de l’opposition au nouveau projet de loi du gouvernement conservateur sur la Police et la Criminalité, présenté par la ministre de l’Intérieur Priti Patel, et qui est sur le point d’être adopté par la large majorité dont jouit Boris Johnson à la Chambre des communes.

Le projet de loi a été fortement critiqué pour l’accent mis sur le renforcement des pouvoirs de la police contre les manifestants.

Photo: Manifestation Kill the Bill à Bristol.

Selon les termes de ce projet de loi, la police pourrait imposer des restrictions de temps et de niveau sonore aux manifestants, et criminaliser le fait de « causer des nuisances publiques » au cours d’une manifestation. Pour de nombreuses personnalités de la politique britannique, ce projet de loi constitue un pas important vers l’autoritarisme et certainement une menace pour le droit du peuple à manifester – une pierre angulaire de la démocratie et un élément important du mouvement Black Lives Matter qui a pris de l’ampleur au Royaume-Uni l’été dernier. Alors que le parti travailliste devait initialement s’abstenir de voter sur le projet de loi, une évolution de l’opinion publique à son encontre a convaincu le chef de l’opposition Keir Starmer qu’il s’agissait d’une menace à prendre au sérieux.

La récente campagne visant la violence masculine contre les femmes après la disparition de Sarah Everard à Londres au début du mois de mars joue un rôle important dans la croissance de l’opposition au projet de loi.

Dans le sillage de cette tragédie, les espoirs de réforme du mouvement ont été anéantis par la réponse extrême et apparemment performative de la police à une veillée organisée à la mémoire de Sarah Everard. La foule a été dispersée par la force et plusieurs femmes ont été arrêtées. Les images de policiers forçant des femmes à se mettre à terre – lors de la veillée d’une femme assassinée par un policier – ont choqué la nation et accéléré les inquiétudes concernant les pouvoirs de la police et l’attitude négligente du gouvernement face aux demandes des manifestants. Le projet de loi fait très peu pour cibler la violence masculine et protéger les femmes, et suggère que les dommages causés aux monuments commémoratifs pourraient entraîner jusqu’à 10 ans de prison. Il s’agit en partie d’une réponse au renversement de statues, notamment celle d’un marchand d’esclaves à Bristol en juin 2020. Ce qui est choquant, c’est qu’il s’agit potentiellement d’une peine plus sévère que celle qu’un homme pourrait recevoir pour un viol.

Avec une majorité de 80 % en faveur de Boris Johnson, il est peu probable que l’adoption du projet de loi puisse être évitée – même au sein de son parti, des critiques, comme l’ex-première ministre Theresa May ont voté en faveur du projet de loi malgré leurs préoccupations. Cependant, le mouvement « Kill the Bill » a réussi au moins à retarder la mise en œuvre du projet de loi, ce qui constitue un succès important pour les Sisters Uncut – compte tenu des inconvénients qui pèsent sur elles – et une victoire pour la protestation pacifique.

À la suite des événements survenus à Bristol dimanche soir, une grande partie de l’opinion publique britannique semble avoir à nouveau changé d’avis. La marche pacifique « Kill the Bill », qui avait eu lieu dans la journée, a tourné au chaos après le coucher du soleil, avec des véhicules de police incendiés et plusieurs officiers blessés par une minorité de participants violents. Le recours à la violence n’est absolument pas utile aux objectifs du mouvement, mais il est trop facile de considérer le chaos de Bristol comme étant simplement l’excitation d’une foule de voyous. Les répercussions spécifiques de la violence de dimanche soir restent à déterminer, mais la tension du discours qui l’a entourée et la diabolisation soudaine des manifestants pourront être une source d’inquiétude, comme un signe de ce qui pourrait advenir dans le cadre du nouveau projet de loi.

Lorsque les gens ont le sentiment de ne pas avoir leur mot à dire dans la démocratie et qu’on leur retire le droit de protester pacifiquement et utilement, que se passe-t-il ?

Prenons l’exemple des récentes manifestations qui ont eu lieu en Russie à la suite de l’arrestation du chef de l’opposition Alexei Navalny : le maintien de l’ordre lors des manifestations illégales est rapidement devenu violent, la police s’efforçant de faire appliquer les lois sur les manifestants qui visaient à faire taire la dissidence. Le chaos s’en est suivi. Au Royaume-Uni, une femme a été assassinée par un policier il y a quelques semaines à peine et sa veillée a été brutalement interrompue par d’autres en uniformes. Pendant ce temps, le gouvernement tente d’adopter une nouvelle loi restreignant le droit de manifester pacifiquement, et le chef de l’opposition ne prend aucune initiative lorsqu’il s’agit de s’opposer au gouvernement au nom des mouvements progressistes.

Dans ce genre d’environnement, il n’est pas surprenant que, privée de la possibilité de s’exprimer politiquement de manière pacifique par l’approche du projet de loi, une minorité d’activistes se tourne finalement vers des méthodes plus perturbatrices, voire violentes. On ne sait pas si c’est ce qui s’est passé à Bristol, et c’est même peu probable. Mais cela pourrait bien être une prémonition de ce qui nous attend à l’avenir. Entre-temps, la réaction des principaux politiciens britanniques a été au mieux dédaigneuse, au pire exploitante. La situation aura fourni une base supplémentaire à la campagne continue de Patel pour soutenir le projet de loi, ce qui ne fera que rendre les conditions observées à Bristol encore plus volatiles.

Si Boris Johnson veut vraiment rétablir le rôle de la Grande-Bretagne dans le monde, il doit le faire, non pas par une révision ambitieuse de la défense et une augmentation des armes nucléaires, mais en agissant comme un exemple de principes démocratiques forts face aux plus grands problèmes de l’humanité. L’action climatique, Black Lives Matter, les droits des femmes – ces questions risquent d’être négligées par les structures existantes qui constituent le gouvernement, la politique parlementaire et le capitalisme, et elles ne peuvent donc être décidées que par la 

capacité du peuple à se faire entendre.

Compte tenu de l’inertie et des préjugés inhérents au système démocratique au Royaume-Uni et ailleurs, le droit de protester est un élément essentiel de notre avenir.

Pour cela, les forces progressistes doivent maintenir la pression sur ce projet de loi et sur tous les autres qui surgissent pour remettre en cause le droit de manifester. L’appel de DiEM25 pour le renforcement de la démocratie à travers l’Europe est profondément lié à la lutte pour la liberté d’expression politique : démocratiser, ou s’attendre à la désintégration.

 

Les points de vue et opinions exprimés ici sont ceux de l’auteur ou des auteurs et ne reflètent pas nécessairement les politiques ou positions officielles de DiEM25.

Source de la photo 1 : Cameron Smith sur Twitter

Source de la photo 2 : Georgie Emily sur Twitter.

Texte traduit en français par Elise Kerremans.

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