Emmanuel Macron

Le défi européen d'Emmanuel Macron : et le sans couronne redeviendra roi ?

Plus de six mois après son discours sur  » la refondation d’une Europe souveraine, unie et démocratique  » à l’Université de la Sorbonne, le Président français Emmanuel Macron a exposé une fois de plus sa vision de l’UE hier matin à Strasbourg, devant le Parlement européen, réuni en session plénière. Ce deuxième discours a été généralement bien accueilli par l’auditoire. Le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, l’a salué en proclamant que « la vraie France est de retour », tandis que le chef du groupe libéral-démocratique ALDE, Guy Verhofstadt, l’a exhorté à ne pas reculer, en paraphrasant une célèbre citation de Georges Danton : « Audace, puis encore une fois audace, toujours audace et l’Europe sera sauvée ». Le président Macron a défendu sa cause avec passion et conviction, se présentant ainsi à la fois comme le chef d’un membre fondateur de l’Union et comme un leader continental qui aspire à jouer un rôle majeur dans la prochaine élection du Parlement européen. Mais quelle vision pour l’Europe a-t-il avancé ?
L’Europe de Macron : démocratie, souveraineté et identité
Le Président français a commencé son discours de 25 minutes en mettant en garde son auditoire contre la menace d’une guerre civile européenne, déclenchée par la résurgence des égoïsmes nationaux face aux défis posés par le nouveau siècle. Il a ensuite poursuivi en partageant deux « convictions fortes », qui devraient constituer, selon lui, le terrain commun de la bataille à mener lors de la prochaine élection du Parlement européen : d’une part, que les nations européennes doivent défendre l’idéal même de la démocratie, avec tout ce qu’elle implique ; d’autre part, que les demandes de protection sociale et économique exprimées par les citoyens européens lors des différentes élections nationales ne peuvent être satisfaites que par l’établissement d’une nouvelle « souveraineté européenne ». Démocratie et souveraineté sont donc les deux mots-clés au travers desquels le discours de Macron doit être lu et compris. De plus, le président Macron a étroitement lié ces deux concepts à un troisième – le concept d’identité – qu’il a défini comme un  » modèle particulier de démocratie en action « .

Mais en quoi consiste une telle « démocratie européenne » ?
La réponse se trouve dans un lapsus freudien que Macron a commis en parlant du Parlement européen comme d’une institution consacrée à « vivifier la démocratie en Europe, comme l’appelait Tocqueville ». Le titre du chef-d’œuvre d’Alexis de Tocqueville est Démocratie en Amérique, alors que Démocratie en Europe est celui d’un essai co-écrit en 2012 par l’ancien Premier ministre italien et commissaire européen à la concurrence Mario Monti avec l’ancienne députée européenne – ainsi que la ministre de la Défense d’Emmanuel Macron – Sylvie Goulard. Cette brochure propose une intéressante « prise de vue tocquevilienne » sur la question du déficit démocratique des institutions européennes. Notamment, les deux auteurs caractérisent un tel déficit non pas comme une crise de la démocratie européenne, mais comme une crise de la démocratie en Europe, en ce sens qu’ils situent le problème à la racine même de l’ordre politique européen : l’autorité souveraine de chaque État-nation.
Pour Monti et Goulard, le processus d’intégration européenne constitue précisément la solution à une telle crise, puisqu’il s’inscrit dans la même « poussée vers l’égalité » qu’Alexis de Tocqueville a désignée comme le moteur de la chute de l' »Ancien Régime » et du succès des révolutions bourgeoises. Une véritable égalité entre les citoyens européens passe par la constitution d’une « démocratie européenne par le peuple » à travers leur participation à l’élection des représentants qui, ensuite, délivrent une « démocratie pour le peuple » en améliorant la compétitivité du système économique européen. L’inspiration « Tocquevillienne » pour l’analyse de Monti et Goulard se manifeste précisément dans la manière dont ils conçoivent les conditions nécessaires à l’émergence d’une « démocratie populaire » européenne : par la constitution d’un « demos » européen, unifié par un « ethos » démocratique européen.
Dans Démocratie en Amérique, Tocqueville soutient que les institutions politiques, les systèmes juridiques et les coutumes sociales sont définis par une « condition sociale » ou un mode de vie particulier. Dans le cas des « Anglo-Américains », une telle condition était « essentiellement démocratique », ou égalitaire. Selon Tocqueville, le « goût des institutions libres » qui caractérise la jeune fédération américaine est donc une conséquence directe d’une éthique égalitaire qui rend les hommes « indépendants les uns des autres » et leur donne « l’habitude et le goût de ne suivre, dans leurs actions privées, aucun autre guide que leur propre volonté ».
C’est précisément pour cette raison que, dans son dernier discours, Emmanuel Macron a identifié le fondement d’une souveraineté européenne dans « l’autorité de la démocratie », ou, plus précisément, dans l’autorité de cette forme particulièrement vigoureuse et dynamique de démocratie (libérale) qui constitue, selon lui, la véritable éthique européenne, et qui se compose de trois éléments clés : « une passion pour la liberté », « un goût pour l’égalité » et le respect de la diversité.
Toutefois, il a également souligné la conviction qu’une telle éthique doit se traduire par un gouvernement efficace afin de répondre aux exigences de la vie quotidienne des citoyens européens. C’est pourquoi une souveraineté démocratique européenne doit compléter celle des États-nations, au lieu de la diluer. Plus précisément, le président Macron a identifié quelques axes majeurs sur lesquels une telle souveraineté européenne devrait se concentrer : l’immigration, à travers la constitution d’un système d’asile européen ; la fiscalité européenne du GAFA (Google, Amazon, Facebook et Apple) afin de disposer de ressources fiscales autonomes pour un budget commun ; la réforme de l’union monétaire, bancaire et économique européenne, impliquant à la fois solidarité et compétitivité par des réformes structurelles ; l’intégration du système européen d’enseignement supérieur et la définition d’un cadre commun de droits de propriété intellectuelle ; un cadre commun de politique étrangère et de défense européenne ; des politiques commerciales communes, à la fois prospectives et protectrices ; la souveraineté climatique et énergétique, à atteindre par un système européen de taxation du carbone ; la souveraineté dans le domaine de la nutrition et de la santé, par la mise en œuvre de normes de qualité communes pour les aliments et les drogues ; la souveraineté numérique, par la protection des données des citoyens européens ; la souveraineté sociale, à travers une plate-forme commune de droits sociaux.
Mais la question demeure : comment un tel plaidoyer en faveur d’une intégration démocratique des Etats européens peut-il être cohérent avec le style de présidence « bonapartiste » ou même « néomonarchique » d’Emmanuel Macron, souvent tourné en dérision ?
Ré-enchanter l’autorité : le retour du roi ?
En tant qu’historien français – et ancien mentor d’Emmanuel Macron – François Dosse soutient que le style du nouveau président français doit être compris en relation avec la pensée du philosophe français Paul Ricoeur, à qui Macron a servi d’assistant dans les dernières années de sa vie. Dans un entretien qu’il a accordé en 1998, Ricoeur décrit ainsi le problème fondamental de l’état moderne post-théologique, né avec la Révolution française : puisque le lien qui lie la société exige non seulement une dimension horizontale (« la volonté de vivre ensemble »), mais aussi une dimension verticale, c’est-à-dire celle de l’autorité, comment celle-ci peut-elle émerger spontanément de la première, en l’absence de toute source externe (religieuse) de légitimation ? La réponse de Ricoeur consiste à suggérer que le lien vertical constitué par l’autorité politique soit « réenchanté », non pas par une autorité parallèle, mais par un processus « bottom-up ». Plus précisément, en s’inspirant du concept de « consensus superposé » de John Rawls, Ricoeur soutient que les différentes visions du monde idéologiques et religieuses devraient accepter de vivre dans une relation « consensuelle dissidente », en essayant de trouver un terrain d’entente dans la recherche du sens de la vie sociale, sans renoncer à s’engager dans un débat public raisonnable pour défendre leurs propres positions.
L’approche « jupitérienne » d’Emmanuel Macron à la présidence de la France pourrait être considérée comme une tentative alternative « descendante » de réenchanter l’autorité en fabriquant un consensus de valeurs et de significations qui se chevauchent. Dans cette optique, le Président, en tant qu’individu, devrait agir comme catalyseur de tous les conflits sociaux et politiques, afin de fournir une synthèse « progressiste », où l’adjectif « progressiste » doit être compris au sens néolibéral du terme. C’est pourquoi, au nom des défis de la modernisation, Emmanuel Macron a constamment essayé de faire tomber tous les clivages établis, en commençant par le clivage traditionnel « gauche contre droite » et en passant à des clivages plus récents : « souveraineté contre intégration européenne », « ouverture contre protection », etc. De plus, une telle vision du rôle de la présidence dans la société française s’accompagne d’une vision du rôle historique de la France au sein de l’Europe, enracinée dans une tradition qui remonte au moins à la présidence de François Mitterrand.
De ce point de vue, la France devrait prendre le leadership politique du continent, afin de contrebalancer le leadership économique et industriel de la fédération allemande. La stabilité de l’ordre démocratique européen devrait donc être assurée par une étroite « coopération conflictuelle » entre ces deux puissances, qui devrait également constituer la base d’un sentiment patriotique européen. C’est pourquoi Emmanuel Macron est déterminé à la fois à défier la direction conservatrice allemande, considérablement affaiblie par les résultats des dernières élections fédérales, et à gagner en crédibilité, en mettant en œuvre des réformes néolibérales rapides dans son pays. En ce sens, on peut donc dire qu’il aspire à être un « monarque », c’est-à-dire à incarner le plein pouvoir de l’autorité politique en France et celui de la nécessité historique en Europe.
Nous arrivons donc à notre dernière question : comment un mouvement comme DiEM25 devrait-il se positionner par rapport à ce projet politique ?
Le roi est mort, il n’y aura plus jamais de roi !
Le leadership d’Emmanuel Macron doit être crédité du mérite de relancer le débat sur la nécessité de promouvoir des réformes globales de l’UE en assurant la participation démocratique des citoyens européens. Une telle perspective s’inscrit parfaitement dans le manifeste progressiste de DiEM25.
Cependant, il existe au moins trois points fondamentaux de divergence entre le projet de notre mouvement et celui du président Macron. Premièrement, alors que le plan de Macron vise à construire une souveraineté européenne sur le modèle westphalien, DiEM25 s’engage à la constitution d’un démos européen dans lequel de multiples souverainetés pourraient être exercées en parallèle, en brisant la fausse équivalence entre souveraineté et pouvoir.
Deuxièmement, DiEM25 travaille à l’émergence d’une conscience démocratique, progressiste et pro-européenne sur l’ensemble du continent, et non à une union à plusieurs niveaux, avec différents niveaux d’intégration.
Troisièmement, et surtout, contrairement à l’idée que le président Macron se fait de l’autorité de la démocratie, DiEM25 se consacre à constituer une forme horizontale, spontanée et rhizomatique d’organisation politique et sociale, dont la légitimation dépend de la volonté d’associer librement les citoyens et les groupes de citoyens.
C’est pour ces raisons que, tout en reconnaissant tout progrès qui pourrait être fait dans le sens d’une intégration européenne plus profonde, DiEM25 nous rappellera toujours que, comme l’a dit Shakespeare, « si nous vivons, nous vivons pour marcher sur les rois ».
 
 
Nicola Bertoldi poursuit actuellement un doctorat en histoire et philosophie des sciences à l’Université de Paris 1 et est un membre actif de DiEM25.

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