Les générations futures porteront un jugement sévère sur cette période de l’histoire humaine.
Les politiques de haine et d’intolérance religieuse occupent le devant de la scène, tandis que celles de solidarité et d’entraide, si nécessaires en période de pandémie mondiale, sont mises en suspend.
Le morcellement des leadership mondiaux – dans un monde dirigé par le capital et la recherche du profit – a créé une opportunité pour les présidents Erdoğan et Macron de croire en leur sens du destin pour diriger l’histoire humaine.
Pour jouer des notes de bas de page de l’histoire, ces dirigeants ont choisi la voie de la confrontation, en stigmatisant les identités religieuses et nationalistes afin de renforcer leur pouvoir apparent.
La dernière dispute en date a commencé avec le discours du président Macron du 2 octobre, lorsqu’il a cherché à aborder l’équilibre complexe entre les idéaux laïques de la France et les incompatibilités perçues avec l’Islam.
Tout en décrivant « l’Islam en crise »*, Mr Macron a cherché à répondre aux préoccupations nationales en présentant de nouvelles initiatives juridiques qui viseront à combattre « l’islam radical ». Bien que ces initiatives n’aient pas encore été officiellement actées, les amendements à la loi française de 1905 sur la laïcité vont augmenter le contrôle de l’état sur l’organisation des fidèles de l’islam. L’objectif étant de libérer l’islam français d’influences étrangères.
Macron fait l’amalgame entre une minorité radicale de musulmans aux idéologies extrêmes et les 1,8 milliard d’adeptes de la foi musulmane. La réponse d’Erdoğan – le leader d’un pays musulman laïque – a été rapide.
Retirant les voiles de la courtoisie diplomatique, il a attaqué la santé psychologique* du président français tout en appelant au boycott des produits français en Turquie*.
Alors que les dirigeants européens soutiennent sincèrement le président Macron, les dirigeants du monde islamique subissent une pression croissante pour prendre position – d’autant plus que Macron insiste pour ne pas « abandonner les caricatures »* dépeignant le prophète Mahomet.
Cette dernière série de confrontations, déclenchée par le meurtre brutal de Samuel Paty, a relancé des débats intenses dans tout l’éventail politique. Le meurtre d’un enseignant – pour avoir exercé ses fonctions – est une attaque symbolique contre l’éducation.
La même semaine, 24 étudiants afghans ont été tués* dans un centre d’éducation à Kaboul. Les attaques des fanatiques sur ces cibles faciles sont une forme d’intimidation qui doit être combattue à la source.
Macron et Erdoğan, ainsi que leurs contemporains qui préfèrent les mots durs et les actes de confrontation, ouvrent une voie dangereuse pour l’humanité.
La société française est entraînée dans une fausse dichotomie, certains intellectuels et médias faisant évoluer le débat vers une fausse polarisation. Ce faux débat oppose les laïcs radicaux qui semblent confondre la neutralité de l’État vis-à-vis de la religion en insistant sur l’effacement des obligations religieuses dans les contextes publics* et les islamo-gauchistes qui cherchent à minimiser les éléments fondamentalistes parmi les adhérents à l’Islam.
Pendant ce temps, Macron, ayant dans le viseur les élections de 2022*, cherche à se repositionner non seulement en tant que leader de la France, mais également en tant que puissance mondiale émergente – en comblant l’espace abandonné par une Grande-Bretagne « Brexitée » et des États-Unis isolés. Le grand silence de l’Allemagne à l’égard de la Turquie, bien qu’on parle de diplomatie discrète, peut néanmoins être dû au souci de maintien de la cohésion interne au sein de l’importante minorité turque du pays.
De plus, les tentatives françaises de créer une zone d’influence à travers l’initiative EUROMED*, ainsi que la promesse de vastes réserves d’hydrocarbures en Méditerranée, propulsent la région vers une nouvelle crise.
Erdoğan, encouragé par les réalités géopolitiques de son temps, ainsi que par les menaces qui pèsent sur sa survie politique, ne cesse de doubler sa rhétorique et d’étendre l’utilisation du hard power sur toute la région. L’économie turque, dont le PIB approchait le trillion de dollars en 2013*, a perdu près de 200 milliards de dollars depuis l’expansion de ses aventures de politique étrangère.
Une baisse qui correspond presque à l’ensemble de l’économie grecque*. Les deux nations considèrent que les richesses issues des ressources fossiles sont vitales pour regagner le prestige qu’elles ont perdu.
Cette vision à court terme néglige les dommages à long terme – tant pour leurs propres sociétés que pour la planète – liés au maintien de la dépendance humaine vis-à-vis des combustibles fossiles. Une transition juste vers le New Deal Vert pour l’Europe, et au-delà, réduira les tensions sur les ressources qui ne devraient plus être exploitées.
Macron et Erdoğan, en politisant les circonstances pour se détourner de leurs échecs nationaux, approfondissent plus encore l’abîme dans lequel ils se trouvent. Les déportations, la dissuasion et le contrôle des organisations religieuses, sans parler de la poursuite des ventes d’armes aux points chauds du monde, ne résoudront pas l’aliénation et l’isolement des minorités.
La France et la Turquie se trouvent dans des camps opposés de guerres régionales par procuration et de conflits liés aux ressources.
De la Libye et de la Syrie à la mer Égée et au Haut-Karabakh, ces prises de bec diplomatiques pourraient se transformer en incidents aux conséquences involontaires – et mortelles.
Sans aucune perspective de recul, nous approchons rapidement d’un tournant. Nous pouvons choisir soit de descendre encore plus loin dans l’abîme de la confrontation et d’inverser le cours de l’histoire humaine en nous éloignant de son progrès, soit de nous tourner vers ce qui est essentiel pendant cette période : la solidarité humaine, la durabilité environnementale et le règlement pacifique des conflits.
Pour cela, il faut des pratiques démocratiques transnationales qui cherchent à nourrir les forces de paix et de réconciliation par-delà les frontières.
Dans l’immédiat, nous :
- Invitons les organisations de base en Turquie et en France à collaborer de manière significative pour désamorcer la guerre des mots, tout en augmentant la pression sur leurs gouvernements respectifs pour qu’ils limitent leurs réactions impulsives.
- Demandons aux chefs religieux du monde entier, de confession abrahamique ou autre, qu’ils fassent conjointement appel à une plus grande tolérance religieuse et à la cessation de l’utilisation des croyances religieuses pour de maigres gains politiques.
- Exigeons du Parlement européen et de la Commission d’adopter les 10 piliers du New Deal Vert pour l’Europe* et de faire évoluer nos systèmes économiques et politiques vers un avenir juste et durable, tout en inversant la perte de biodiversité et en réduisant fortement les inégalités.
- Demandons la convocation immédiate d’une conférence des États méditerranéens pour remédier à la crise méditerranéenne.
Sur la route de l’acrimonie, la France, qui ne s’est jamais extradée de son passé colonial, pourrait plonger dans des conflits internes. De même, la Turquie, qui souffre de pertes économiques importantes et d’une monnaie affaiblie, pourrait se précipiter vers un avenir envahi par des conflits affectant toute la région. Nous n’en serions pas là si les institutions de ces pays – ainsi que l’UE – avaient été suffisamment démocratiques pour orienter leur énergie politique vers des politiques de solidarité, de durabilité et de résolution pacifique des conflits.
DiEM25 contribue aux objectifs de démocratisation de l’UE en plaçant les questions de paix et de politique internationale au premier plan des actions qui visent à apporter des changements en Europe et au-delà.
La tâche à accomplir s’accroît, tout comme la nécessité pour un plus grand nombre de membres de nous rejoindre pour poursuivre notre progression. Rejoignez-nous.
Cet article a été rédigé par Amir Kiyaei et Paola Pietrandrea, membres du DSC « Paix et Politique Internationale »
Source de la photo : Wikimedia Commons*
*liens vers des contenus en anglais
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