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Projet de loi immigration et droit d’asile : quand la patrie des droits de l’Homme oublie ses racines

Le 21 février dernier, le Ministre de l’intérieur Gérard Collomb a officiellement présenté un projet de loi sur l’immigration et le droit d’asile, dont l’intitulé met l’accent sur deux adjectifs clés, à savoir « maitrisée », en ce qui concerne l’immigration, et « effectif », en ce qui concerne l’asile. C’est ainsi que la toute première ligne de ce projet finit par en révéler la logique profonde, qui est magistralement explicitée par Monsieur le Ministre lui-même, dans l’éditorial qui introduit le dossier destiné à la presse. On y lit, en effet, que « si dans les autres pays européens, le nombre de demandes d’asile reflue ces derniers mois, elles restent, en France, orientées à la hausse », ce qui « menace l’équilibre-même de notre système d’asile ». Afin de « tout mettre en œuvre pour mieux accueillir toutes celles et ceux qui fuient la guerre et les persécutions », il serait donc nécessaire de « se donner les moyens d’éloigner celles et ceux qui n’ont pas vocation à rester durablement sur notre territoire ». Ce projet de loi se propose ainsi de durcir les politiques de contrôle de l’immigration afin de pouvoir réellement garantir le droit d’asile. Cela implique que le coût humain des mesures restrictives qui constituent le premier volet serait largement compensé par les bénéfices qu’assurent celles qui constituent le second. Mais est-ce que cela correspond au vrai ?
Les solutions concrètes qui y sont préconisées concernent, pour la plupart, un seul objectif, c’est-à-dire l’accélération et la rationalisation des procédures administratives, qu’elles soient des procédures de demande d’asile, d’expulsion, ou bien d’accueil et d’intégration. C’est ainsi qu’à côté de mesures indéniablement positives, telles que, par exemple, l’accélération des délais d’instruction des demandes d’asile, la simplification de leur enregistrement, le renforcement des droits de séjour octroyés aux protégés subsidiaires et apatrides, la simplification des procédures de réunification familiale, ainsi que les facilitations dont jouiraient les étudiants et les travailleurs hautement qualifiés, on retrouve des propositions qui suscitent la plus vive inquiétude. Il s’agit, principalement, de la réduction à quinze jours des délais de recours contre le rejet d’une demande d’asile, de l’aménagement du caractère suspensif du recours pour les demandeurs provenant de pays « sûrs » (ce qui comporte une inquiétante « ethnicisation » du droit, puisque les prérogatives des individus seraient ainsi subordonnées à la nature de leurs communautés d’origine), de l’extension à vingt-quatre heures de la durée de retenue administrative (c’est-à-dire d’une véritable garde à vue) des étrangers soumis à vérification de leur titre de séjour (alors que, malgré les condamnations de la Cour européenne des droits de l’homme, il n’y a aucune trace de mesures qui visent à éviter la retenue de mineurs), ainsi que de l’extension de quarante-cinq à quatre-vingt-dix jours de la durée maximale de rétention administrative des étrangers en attente d’être expulsés.
Cette dernière résume à elle-même le caractère démesuré des coûts humains induits par de telles mesures sécuritaires, eu égard à leur efficacité. Comme le rappellent Les Décodeurs du Monde, parmi les 23 000 étrangers qui ont été enfermés dans un Centre de rétention administrative en France métropolitaine dans l’année 2016, « moins de 9 500 ont finalement été expulsés, dont près de la moitié vers un autre pays de l’Union européenne. Il s’agit alors soit de leur pays d’origine, soit du premier pays de l’UE dans lequel ils étaient arrivés ». Dans les deux cas, il s’agit de personnes qui, en théorie, n’auraient même pas dû être enfermées. De plus, « seulement une toute petite minorité des étrangers retenus (3,7%, soit moins de 800 personnes) est libérée en raison de l’expiration du délai légal de quarante-cinq jours ». Bien qu’elle soit très variable, la durée moyenne de séjour dans ces centres a été, en moyenne, « de 12,7 jours en 2016, un chiffre stable depuis 2011 ». Pourquoi donc menacer d’infliger une telle privation de liberté alors qu’elle paraît tout à fait non nécessaire ?
 
Il semble évident que, afin d’éviter tout reproche de laxisme, le gouvernement a largement insisté sur la sécurité, au détriment de l’efficacité et de l’équite de l’accueil. En effet, le durcissement des mesures punitives s’accompagne exclusivement de facilitations bureaucratiques, alors qu’il n’y a aucune trace d’aides concrètes. Comme s’interrogent des juristes qui ont récemment signé une tribune parue dans Le Monde, « parmi les mesures proposées, laquelle garantit au demandeur d’asile la possibilité pratique de constituer un dossier solide, en lui assurant, fût-ce temporairement, une protection garantissant la sérénité de son parcours ?… Laquelle lui permet de réunir les pièces et traductions nécessaires au soutien de sa demande ?… Laquelle, enfin, lui garantira que sa cause sera entendue par des juges ou officiers de protection qui en auront le temps ? ». La réponse qu’ils donnent à toutes ces questions est, tristement, la même : « aucune ». Les coûts sont donc loin d’être couverts par les bénéfices.
 
Et pourtant, l’aspect le plus délétère de ce projet de loi consiste moins dans son inefficacité que dans son présupposé même, c’est-à-dire la banalisation du droit d’asile. En en faisant l’objet d’un double arbitrage entre coûts et bénéfices (entre bénéfices de l’asile et coûts de l’immigration, d’une part, ainsi qu’entre bénéfices des facilitations bureaucratiques et coûts des restrictions des droits, de l’autre), le gouvernement du pays qui se targue d’être « la patrie des droits de l’Homme » a fini par rendre dispensable le plus fondamental de ces droits, au vu de son importance légale et historique. La première découle du simple fait que le droit d’asile est le seul rempart qui reste à tous ceux qui, ayant perdu tout statut politique et social qui puisse les protéger, « ne sont que des êtres humains », comme le rappelle Hannah Arendt (qui fut elle-même internée dans un camp de réfugiés français, après avoir fui l’Allemagne en 1940). Le droit d’asile est donc l’un des seuls droits dont jouissent les êtres humains en tant que tels, et non pas en tant que citoyens de tel ou tel état, en tant que membres de tel ou tel groupe social, de telle ou telle église, etc. Affaiblir ce droit signifie ainsi affaiblir tous les autres, y compris les « nôtres ».
 
Quant à son importance historique, il suffit de rappeler qu’il a été inscrit parmi les droits universels de l’Homme précisément en 1948, c’est-à-dire après que presque six ans de guerre totale et le premier génocide de l’histoire humaine avaient réduit des peuples entiers à la condition de réfugiés. À l’heure où le comité « science et sécurité » du Bulletin of the Atomic Scientists de l’université de Chicago vient d’avancer sa célèbre « Horloge de l’Apocalypse » (« Doomsday Clock ») à deux minutes avant minuit (c’est-à-dire l’heure qui symbolise la certitude d’une catastrophe globale produite par l’homme lui-même), à cause de l’incapacité des dirigeants mondiaux d’affronter des menaces telles que le changement climatique ou la prolifération nucléaire, et où l’Union Européenne est en train de se déliter précisément sur la question des réfugiés, il serait irresponsable de penser que le droit d’asile appartiendrait à une époque désormais révolue. Que faire donc ?
 
Aussi simpliste que cela puisse paraître, force est de constater qu’il n’existe qu’une seule solution humainement acceptable à la crise des réfugiés : celle de « l’unité par la solidarité ». Comme le rappelle encore une fois Hannah Arendt, « le bon accord des nations européennes s’est effondré lorsque et précisément parce qu’elles ont permis à leur membre le plus faible d’être exclu et persécuté ». C’est seulement la solidarité avec les réfugiés (et avec les migrants en général), ainsi que celle des pays d’accueil entre eux qui sont à même de sauvegarder non seulement l’unité des pays européens, mais également celle de l’entière communauté internationale. De surcroît, il existe des solutions concrètes pour faire vivre une telle solidarité, comme, par exemple, les cinq propositions d’Amnesty International pour résoudre la crise mondiale des réfugiés :
 
1) l’institution d’un « nouveau mécanisme pour réinstaller tous les réfugiés qui remplissent les critères de vulnérabilité du Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés » ; 2) l’institution d’un « nouveau mécanisme mondial de transfert des réfugiés présents dans des pays où leur nombre a atteint un certain plafond » ; 3) « la garantie d’un financement total, souple et prévisible permettant la protection des réfugiés et un soutien financier important aux pays qui accueillent un grand nombre d’entre eux » ; 4) « un renforcement des systèmes de détermination du statut de réfugié et un recours accru à la reconnaissance prima facie de ce statut » ; 5) la mise en place, dans tous les pays concernés, de politiques et de systèmes « garantissant la protection efficace des réfugiés et des demandeurs d’asile et permettant de satisfaire leurs besoins élémentaires d’une manière qui garantisse le respect des droits humains et de la dignité de la personne ».
 
Néanmoins, Amnesty International n’est pas la seule association qui, en France comme ailleurs, œuvre quotidiennement, et de manière concrète, pour garantir le respect du droit d’asile et un accueil humain des migrants. Des centaines de telles associations sont en train de se rassembler pour constituer les États Généraux des Migrations, c’est-à-dire un processus collectif qui s’engage à dénoncer les politiques migratoires actuelles et à en proposer un changement radical. C’est pour cette raison que, en tant que DiEM25 France, nous sommes fiers non seulement de soutenir leurs actions, mais également d’y contribuer. Nous appelons, par conséquent, toutes celles et ceux qui ont à cœur le destin de l’Europe et de l’humanité entière à faire de même.
 
Nous appelons chacune et chacun à la solidarité et à l’action, avant que minuit ne sonne.
 

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