La mort d’Ibrahima : Une tragédie systémique

Le 9 janvier 2021, un jeune homme de 23 ans nommé Ibrahima est mort en garde à vue après avoir filmé un contrôle corona près de la gare de Bruxelles-Nord. Les rapports indiquent qu’il n’était pas drogué, comme l’avait initialement dit ou laissé entendre la police, en jouant avec les stéréotypes courants, au mépris de la dignité de la victime. Il n’y a pas non plus de certitude quant à savoir s’il a été battu. Les résultats de l’autopsie identifient un arrêt du coeur comme cause du décès. Cet événement et le quartier dans lequel il s’est déroulé sont les points culminants de la tragédie que nous vivons collectivement.

À l’Est de la gare du Nord, Schaerbeek est limitrophe de Saint Josse-ten-Noode, la commune la plus pauvre de Bruxelles. La rue qui jouxte la gare, c’est un quartier de prostitution et, une rue plus loin, c’est un bazar qui vend presque tout ce qui provient d’ateliers d’Afrique du Nord et du monde entier. À l’Ouest de la gare du Nord, on trouve des gratte-ciel où se trouvent les sièges de banques, de sociétés de télécommunications et de fournisseurs d’énergie. Mais l’un des bâtiments du World Trade Center héberge également la Direction générale de l’Office des Etrangers , et le parc Maximilien tout proche était jusque tout récemment le site d’un camp de réfugiés qui était régulièrement évacué.

Ici, lorsqu’un banquier en costume passe devant un réfugié sans abri à la gare du Nord, le pouvoir et la richesse se heurtent à la misère sordide qui résulte de l’accumulation toujours plus rapide par quelques uns de ce qui est produit par le plus grand nombre. C’est ici, où les plus puissants rencontrent les plus fragiles, que le jeune Ibrahima a perdu la vie.

Il est odieux de se demander si sa vie aurait pu être sauvée s’il n’avait pas été abandonné dans un état critique pendant sa détention au poste de police, car toute tentative de réponse à cette question reviendrait à reconnaître tacitement que sa détention était justifiée de quelque manière que ce soit. En d’autres termes, c’est l’inverse : Si la police n’avait pas décidé de poursuivre Ibrahima, il serait probablement encore parmi nous.

Ibrahima n’a rien fait de mal – il n’a fait que filmer un contrôle corona

Mais le fait de filmer les autorités, s’il n’est pas un crime, est souvent puni de facto par les autorités, car elles le perçoivent comme une menace.

Le fait d’être surveillées est une nouveauté pour les forces de l’ordre. Pour la première fois dans l’histoire, les gens disposent des moyens technologiques nécessaires pour surveiller efficacement ceux qui surveillent. Et cette capacité menace les courants autoritaires sous-jacents dans nos sociétés formellement égalitaires et démocratiques, qui se manifestent le plus fortement partout où la loi et l’ordre sont concernés. La réaction naturelle semble être la suppression des enquêtes.

Ainsi, la lutte politique sur le droit d’utiliser les technologies basées sur les données pour exercer un contrôle démocratique est actuellement attaquée en divers endroits.

Prenez, par exemple, le processus visant Assange, où une vieille loi du temps de guerre est utilisée pour anéantir un journaliste qui a publié de manière tout à fait responsable une preuve vidéo de crimes de guerre. Ou encore la tentative du gouvernement français de criminaliser potentiellement tout enregistrement des forces de l’ordre. Ou encore la bataille juridique de Frontex contre la liberté d’ enquêter pour informer. Mais les cas les plus fréquents sont, de loin, ceux des policiers dans la rue qui, confrontés au fait d’être filmés, peuvent avoir recours à un comportement illégal et présomptueux.

Dans ce cas, les mesures sanitaires ont servi de prétexte pour poursuivre quelqu’un qui avait filmé un contrôle de police et le résultat a été un décès prématuré.

Permettez-moi de dire très clairement que je n’accuse pas les personnes qui font un travail difficile. Le problème sous-jacent est de nature institutionnelle et nécessite des solutions institutionnelles. La sensibilisation et la formation continue des agents de la force publique sont aussi nécessaires qu’un système judiciaire qui fonctionne pour établir une société pacifique.

Ce n’est pas un hasard si la victime est une personne de couleur

Le quartier de la gare du Nord a un passé de comportements racistes de la part de la police, qui sont d’ailleurs devenus visibles pour le public lorsque Pirette Herzberger-Fofana a été brutalisée par la police après avoir filmé un contrôle de police à cet endroit. Les agents des forces de l’ordre n’ont pas pu comprendre qu’une personne marquée à plusieurs égards comme socialement défavorisée, ayant la peau foncée et étant une femme, pouvait être ce qu’elle était : membre du Parlement européen.

En outre, dans la région de Bruxelles, il y a eu un certain nombre de décès de jeunes gens en rapport avec la police, dont la communauté se souvient très bien. Le dernier en date est Adil, qui est mort lors du premier confinement après qu’une voiture de police l’ait sciemment percuté lors d’ une poursuite. Leurs noms sont inscrits sur les murs en ville, et des panneaux portant les noms d’une demi-douzaine de victimes sont présents à chaque manifestation ; c’était le cas aux manifestations qui ont suivi la mort d’Ibrahima.

Ces manifestations ont ouvert un autre acte de la tragédie : après la dislocation d’une manifestation pacifique de 500 personnes, une centaine d’émeutiers ont incendié un poste de police et blessé quatre membres de la police. Plus de 100 arrestations ont été effectuées. Les forces de sécurité du roi n’ont pas pu l’empêcher de passer à cet endroit, de telle manière qu’il a pu lui aussi avoir sa part du spectacle.

Si je comprends la colère qui alimente ces protestations, le recours à la violence est une terrible erreur. Cela ne fait qu’aider les détracteurs, qui seront heureux de trafiquer la vérité en présentant Bruxelles comme un enfer rempli de migrants violents jetant des pierres sur le convoi du roi , et qui utiliseront volontiers les images d’une protestation justifiée pour propager une politique dure contre les plus vulnérables de la société et pour renforcer leur discours clivant « nous contre eux ».

Tout cela s’est passé dans mon quartier, à Bruxelles, dans la « capitale de l’Europe ». Mais en gros, c’est la même histoire qui, avec quelques variations, se produit régulièrement dans toute l’Europe et à nos frontières. Nous ne devons pas laisser ces incidents passer inaperçus et les forces de police doivent faire mieux pour lutter contre le racisme systémique.

Ce qui nous reste, c’est le deuil des victimes, et le devoir de lutter pour un lendemain différent sans de telles tragédies.

Si, en Europe, nous avons une mission, née d’un conflit, c’est de parvenir à une coexistence pacifique.

Source de la photo : Réseau belge de Black Lives sur Twitter. 

Angelo Radmüller est membre du Collectif national du DiEM25 en Belgique, père au foyer et immigrant vivant à Schaerbeek, Bruxelles.

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