Pourquoi le Parti travailliste tourne-t-il le dos à la Révolution industrielle verte ?

Nous avons besoin d’un Green New Deal pour les gens et pour la planète, maintenant plus que jamais, et nous devons nous battre pour cela.

Ce mois-ci a vu la publication du premier document politique complet du Parti travailliste sous la direction de Keir Starmer, une feuille de route pour une relance verte après la Covid, que Ed Miliband a présenté comme « le plan de relance climatique le plus ambitieux au monde ».

Pour l’observateur occasionnel qui lit le  rapport du Parti travailliste sur la « Relance économique verte », cela peut sembler très valable. Après un été de consultation ouverte sur la forme de la « Relance verte » du Parti travailliste, le rapport présente un certain nombre de politiques et d’engagements clés qui aideraient à décarboner le Royaume-Uni et à encourager l’économie à devenir plus équitable, plus prospère et plus durable.

Promettant 400 000 emplois verts, y compris un programme de « formation d’urgence » pour rééquiper les travailleurs en vue d’une économie plus verte, et une Banque nationale d’Investissement, le rapport fait des suggestions sensées que de nombreux membres du parti travailliste accueilleraient favorablement. Essayer d’imaginer à quoi ressemblera une société post-Covid semble d’une importance vitale en ce moment historique, et face à une intersection terrifiante de crises économique, sanitaire et climatique, on pourrait espérer que le parti d’opposition du pays qui a subi la pire récession et le bilan le plus élevé de décès Covid en Europe soit en mesure d’offrir une alternative radicalement transformatrice.

Malheureusement, le rapport du Parti  travailliste sur la « Relance verte » représente en fait un recul qui fait frémir par rapport à l’engagement audacieux du manifeste du Parti travailliste de 2019 de réaliser une Révolution industrielle verte. Avec des promesses de reconstruction de la Grande-Bretagne post-industrielle grâce à des investissements gouvernementaux massifs dans les énergies renouvelables et la création de plus d’un million d’emplois verts, des Services de base universels et une décarbonation rapide, la vision économique du Parti travailliste sous la direction de Corbyn offrait des politiques véritablement transformatrices à l’électorat, qui les a finalement rejetées.

Le nouveau plan de « Relance verte » laisse tomber de manière troublante un certain nombre de politiques clés qui constituent encore techniquement  la politique officielle du Parti travailliste.

Elles ont été adoptées lors de la Conférence de l’année dernière, et ont été massivement soutenues par les membres pendant la période de consultation de cet été. Labour for a Green New Deal [les travaillistes pour un Green New Deal], une organisation de base dirigée par des bénévoles, a appelé à maintes reprises le parti à tenir ses promesses envers ses membres et à poursuivre la lutte pour une solution socialiste aux crises climatique, économique et sanitaire imbriquées auxquelles nous sommes confrontés.

Dans le cadre du projet de recherche de consensus tant vanté lancé par la Nouvelle Direction du Parti travailliste, ces politiques, qui étaient soutenues par plus des deux tiers des votants à la consultation, ont été rejetées en bloc. Au lieu d’une vision radicale d’une économie et d’une société transformées, le Parti travailliste a discrètement abandonné sa promesse de décarbonation d’ici 2030.

Le rapport sur la « Reprise verte » pourrait bien n’être qu’un « premier pas », comme l’a suggéré Matthew Pennycook, Ministre du Changement climatique du Gouvernement fantôme, mais il semblerait plutôt bizarre qu’un « premier pas » vers la décarbonation suive un bond en avant aussi important que la « Révolution industrielle verte » de 2019. C’est comme si Cristiano Ronaldo faisait un pas vers la victoire en Ligue des Champions en signant pour Leyton Orient.

Une comparaison point pour point des engagements du manifeste de 2019 et du rapport sur la « Relance verte » rend la lecture incroyablement sombre et décourageante.

Un manifeste qui gagnerait les élections pourrait être rédigé presque entièrement à partir de politiques qui ont été abandonnées : Propriété publique des chemins de fer et des bus, un Service national de Santé, des centres-villes à émissions zéro, une Loi sur la Pureté de l’Air, une fiscalité progressive, des fonds pour l’Énergie verte et Zéro Carbone pour le gouvernement local et un engagement en faveur d’une économie à faibles émissions de carbone. Il est franchement troublant que la direction du Parti travailliste s’engage volontairement dans un cul-de-sac électoral qui jouera inévitablement en faveur des Conservateurs et décevra les électeurs qui ont le plus besoin d’un gouvernement travailliste lorsqu’ils sont défaits.

Durant la période de deuil qui a suivi les élections et qui a vu la victoire écrasante de Sir Keir Rodney Starmer pour la direction du Parti travailliste, les trois candidats au poste vacant ont tous soutenu un « Green New Deal », y compris Starmer lui-même qui s’est engagé à « mettre le Green New Deal au cœur de tout ce que nous faisons ». Il est clair maintenant que les dix promesses de Starmer ont été faites de mauvaise foi.

Le nouveau Chef de l’Opposition est totalement allergique à toute position politique qui menacerait la trêve qu’il semble avoir négociée avec les commentateurs libéraux dont il estime l’approbation plus que celle de ses propres membres (sachant qu’il est virtuellement inattaquable dans sa position pour les années à venir, sauf en cas de désastre lors d’une élection anticipée). L’abandon par le Parti travailliste de son manifeste de 2019 est la preuve d’un renoncement impudent à la démocratie du parti.

Depuis l’élection du droitier David Evans au poste de Secrétaire général, jusqu’au report de la Conférence du Parti  travailliste en raison de la COVID-19 (aucune démocratie virtuelle n’a été autorisée, peut-être en raison de l’absence de haut débit en service public), on observe un sentiment croissant de désenchantement et de désillusion parmi les membres du Parti travailliste, qui pourrait menacer de se transformer en un exode massif. Même la nomination d’Evans est encore techniquement soumise à l’approbation de la Conférence, mais ceux qui détiennent le pouvoir au sein du parti semblent peu intéressés par ces questions.

Comparées aux promesses environnementales pas très franches des Conservateurs, telles que la proclamation jubilatoire de Boris Johnson selon laquelle le Royaume-Uni peut devenir « l’Arabie Saoudite de l’énergie éolienne », ou son annonce molle de 10 nouveaux parcs nationaux (une autre politique éliminée du plan travailliste), les propositions du Parti travailliste semblent relativement solides. Au début de l’année, le gouvernement n’avait investi que 4 milliards de livres par an sur les 33 milliards de livres nécessaires pour atteindre ses objectifs d’émissions  zéro net, un montant minuscule comparé aux 36 milliards de livres d’investissement annuel de l’Allemagne.

Il n’est guère surprenant que les Conservateurs soient réticents à combattre le changement climatique au-delà du capitalisme vert et d’un plan en 10 points affligeant avec seulement 4 milliards de livres d’investissements nouveaux.

Mais compte tenu de la récente découverte de l’économie keynésienne par Rishi Sunak, il n’est pas impossible que les Conservateurs fassent un virage spectaculaire à 180 degrés en matière d’investissement vert et promettent de dépenser à la même échelle que le Parti travailliste. Cela semble être le cas, et maintenant le gouvernement s’est engagé à investir 4 milliards de livres sterling dans la création de 250 000 emplois verts, ce qui est toujours inférieur à la promesse du Parti travailliste, mais pas négligeable. De nombreux membres du mouvement travailliste sont scandalisés par le fait que la direction du parti ait abandonné du terrain idéologique aux Conservateurs, qui ont maintenant la témérité de qualifier leur programme de « Révolution industrielle verte ».

Une différence essentielle entre les deux plans, et cela vaut probablement la peine de le répéter, c’est que les Conservateurs sont en fait au pouvoir et le resteront probablement avec une large majorité jusqu’en 2024, ce qui leur laisse la liberté de réduire le budget de l’aide étrangère et d’augmenter les dépenses de défense de 16 milliards de livres. Dans ce contexte, le Parti travailliste n’a pas semblé si dépourvu d’idéologie, ni incapable de défier les Conservateurs depuis des décennies. Starmer et ses alliés semblent heureux de passer les prochaines années à rouer la gauche de coups pour la soumettre ou l’exclure complètement du parti, de Jeremy Corbyn lui-même jusqu’à ceux qui ont la témérité de discuter de la suspension de l’ancien leader.

La timide concession de la direction travailliste à l’orthodoxie économique de centre-droit n’est pas particulièrement surprenante, étant donné qu’elle a été la position par défaut du Parti travailliste au Parlement pendant une grande partie de son histoire d’après-guerre, même pendant le projet Corbyn. 

L’ancien avocat des droits de l’homme Starmer est heureux de pousser ses députés à s’abstenir sur des protections fondamentales pour les citoyens britanniques, comme le droit de ne pas être assassiné par un membre infiltré de l’Agence des Normes alimentaires. De nombreux députés travaillistes partagent largement les prédilections de leurs supposés adversaires des bancs opposés, pour le marché qu’ils adorent et le laisser-faire, et semblent complètement paralysés par la peur lorsque des idées radicales sont émises par les membres.

Une ligne de faille de plus en plus difficile à ignorer se dessine entre les jeunes et les vieux au sein du Parti travailliste, ce qui est particulièrement apparent du fait de la victoire écrasante de candidats explicitement socialistes aux élections des Jeunesses du Parti travailliste qui n’ont pas peur de dénoncer la timidité politique de la nouvelle direction en matière socio-économiques et en matière climatique (et dans une moindre mesure aux élections du Comité national électoral qui ont été un peu moins tranchées). Un Parti travailliste lourd et hostile, peu accueillant envers la gauche, va être une perspective de plus en plus toxique pour la génération des jeunes électeurs qui atteindront la maturité au moment des prochaines élections, et sur qui reposent largement les chances de victoire du Parti travailliste.

Fait intéressant, le Parti travailliste a décidé d’attendre le résultat des élections américaines pour annoncer son plan de « Relance verte »

De l’autre côté de l’Atlantique, la victoire écrasante des candidats démocrates à la Chambre des représentants qui ont coparrainé le Green New Deal est une leçon utile à tirer de la victoire de Biden. Tous les candidats, sauf un, sur les 93 candidats qui l’ont coparrainé ont été réélus en se présentant sur un programme politique qui exigeait une transformation économique et sociale radicale, plutôt que sur les appels mous à la fanfaronnade libérale contre la vulgarité de Trump et le sentiment naissant de « retour au brunch » (de démobilisation) déployé par de nombreux candidats démocrates des pouvoirs en place qui ont souffert aux urnes.

En observant ces résultats, il est clair que le Parti travailliste n’y a prêté aucune attention et qu’ils ont décidé de foncer tête baissée dans leur projet de gestion technocratique, en faisant la leçon aux Conservateurs, et dans leur projet de suspension des socialistes « démolisseurs ». Le moment aurait pu être venu pour le Parti travailliste de tendre la main aux socialistes et aux progressistes des États-Unis et de démontrer une vision commune et cohérente d’une société décarbonée, avec des emplois verts pour tous et un plan visant à libérer de l’espace atmosphérique pour les pays en développement. Le Parti travailliste semble prêt à rater cette excellente opportunité de solidarité internationale au moment où le Royaume-Uni risque de se retirer de l’UE sans accord.

On espère que la COP26 (reportée à l’année prochaine) débouchera sur un nouveau consensus internationaliste radical sur le changement climatique, qui se traduira par des actions concrètes (contrairement à l’accord de Paris), mais il est difficile d’envisager que les pays du G20 apportent une contribution significative à la lutte contre la catastrophe climatique. Les pays du Sud dont l’empreinte carbone est dérisoire sont ceux qui risquent le plus de subir les ravages de la destruction du climat, du fait de catastrophes naturelles, de sécheresses et de conflits pour les ressources. Le Royaume-Uni doit donc faire davantage pour libérer de l’espace climatique pour les pays qui décarbonent. Par exemple, au Kenya, 93% de l’électricité est produite à partir de sources d’énergies renouvelables. Les nations les plus riches doivent contribuer à leur juste transition en annulant la dette du monde en développement et en ouvrant leurs frontières aux réfugiés.

En fin de compte, la plupart des citoyens sont totalement désillusionnés par les partis politiques traditionnels du Royaume-Uni. Les gens souffrent à un niveau qui aurait été impensable auparavant, même après une décennie d’austérité ruineuse de la part des Conservateurs, alors que le pays se confine et se déconfine, des centaines de milliers d’autres pertes d’emplois sont attendues dans les mois à venir. Même des personnalités aussi profondément favorables aux pouvoirs établis que Gordon Brown ont appelé à un programme urgent et immédiat de lutte contre la pauvreté pour écarter la menace de « rébellion » dans une Grande-Bretagne profondément divisée.

L’éclatement de l’Union semblant plus probable que jamais, il faudrait un programme  politique d’investissement incroyablement transformateur et visionnaire pour maintenir l’unité du pays.

Puisque ni les Conservateurs ni le Parti  travailliste ne semblent capables de proposer cela à l’une des périodes les plus difficiles de l’histoire britannique, le Royaume-Uni semble alors voué à la dissolution. Mais la perspective la plus terrifiante est bien sûr le désastre climatique imminent, et avec l’abandon par le Parti  travailliste de sa politique de décarbonation d’ici 2030, le gouvernement conservateur perpétuel est libre de tergiverser et d’aller au ralenti vers un objectif de zéro net d’ici 2050.

Battus et meurtris par les événements de 2020, nous titubons d’une catastrophe à l’autre, sans voir que la solution à nos crises économique, sociale et climatique imbriquées est devant nous depuis un certain temps déjà : un Green New Deal pour les gens et pour la planète.

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